De Clerck hors-la-loi !
En prolégomènes, un sous-titre lu dans Marianne « Transformer le prisonnier en une source de profit entache d’illégitimité l’acte de priver de liberté. »
J’y avais déjà pensé sans trouver un article dans le Code à propos de l’initiative de De Clerck qui expédie courant janvier nos détenus purger leur peine en Hollande.
Cette chronique pourrait débuter ainsi « Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie… » ainsi écrivait madame de Sévigné à son cousin de Coulanges à propos du mariage (raté par ailleurs) de la Grande Mademoiselle, cousine de Louis XIV avec Lauzun, pour expliquer mon étonnement pareil à celui de la Marquise, à ce qui m’avait échappé avant la lecture de Marianne. Penser qu’aucun juriste n’y avait pensé est sidérant !
Venons-en aux faits :
De « La Libre Belgique » le 1-07-09 :
« Interrogé ce mercredi matin sur la RTBF à propos de la surpopulation dans les prisons belges, le ministre de la Justice Stefaan De Clerck a répété qu'aucune décision n'avait encore été prise (au sujet de la location d’une prison hollandaise pour y loger nos surplus de détenus. NDLR) mais le ministre s'est fait l'avocat de la piste "hollandaise". Coût estimé: 90 millions d'euros.
»M. De Clerck espère obtenir, à partir du 1er janvier prochain, 500 places dans une prison au Pays-Bas, "située à 40 km d'une autre prison belge". Le personnel de la prison est néerlandais, mais sera sous autorité belge. La loi en vigueur dans la prison sera la loi belge, a assuré le ministre. »
La location de prisons hollandaises est un exemple de gestion qui oublie superbement le Droit.
Le gouvernement belge va louer des cellules en Hollande pour y installer ses détenus, ouvrant ainsi à la privatisation une partie des décisions de justice, sans qu’au préalable, on ait eu un débat sur une délégation de pouvoirs à un pays tiers et à des organismes privés, en vue de l’application d’une décision de justice !
Le Parlement a autorisé les transferts de prisonniers en dehors du sol national en toute illégalité et sans doute en pleine inconscience !
L’insuffisance de prisonniers en Hollande et le manque de prisons en Belgique, ne justifient pas tout. C’est parfaitement scandaleux d’escamoter l’essentiel du Droit pour des raisons essentiellement économiques aux motifs d’encombrement et du manque d’hygiène de nos prisons.
J’écarquille les yeux. Je me dis que le désastre est dans le vide juridique de prisonniers belges purgeant leur peine à l’étranger. De Clerck a beau dire que ces prisonniers seront sous tutelle des Lois belges avec un personnel hollandais, sans que je ne parvienne pas à m’expliquer comment, en cas d’infraction aux règlements intérieurs, les geôliers hollandais, éventuellement victimes de prisonniers en rébellion seront indemnisés par les Lois belges et les coupables sanctionnés de même, alors que l’infraction serait commise hors de Belgique sur des geôliers agissant à titre de société privée, sinon entrer dans un micmac juridique dont on n’est pas près de sortir, à moins de passer un accord avec la Hollande qui cèderait une partie de son territoire dans une sorte de bail et que la prison de Tilburg serait momentanément un territoire belge, avec tous les droits qui s’y rattachent, y compris les matons qui bénéficieraient d’une double nationalité !
J’espérais en la clairvoyance de Christine Defraigne, juriste liégeoise, qui a interpellé le gouvernement sur le sujet : "C'est un terrible aveu d'impuissance pour notre pays… On va payer 30 millions d'euros pendant 4 ans. Or, avec 120 millions, on peut construire des prisons et acheter des bracelets électroniques".
Pas un mot de la rebelle sur l’énormité en Droit que cela soulève, rien dans son discours sur le droit du citoyen de purger sa peine dans son pays ; mais, pardon, question pognon, toutes les angoisses du monde ! !
Faut-il rappeler que la haute cour de justice de l’Etat d’Israël vient de mettre un coup d’arrêt à la privatisation de la détention de prisonniers aux motifs que « …une société commerciale dont le profit est l’unique souci chercherait à optimiser en rognant sur les coûts au détriment des droits des prisonniers ».
Et qu’en est-il de la dignité humaine ?
Cet arrêt des Cours israéliennes pourrait constituer un précédent juridique international. On ne peut pas penser que la Cour européenne des Droits de l’homme si elle était saisie du comportement de la justice belge et de son ministre, resterait sans réaction.
Evidemment, en Belgique, où il ne fait pas bon dire un mot de travers sans qu’une communauté ne se sente diffamée et coure pleurer dans le gilet d’un juge, personne ne fait attention que nous exportons des gens comme des paquets de linge sale dont on voudrait se débarrasser. Jadis, on envoyait le bagnard à Cayenne et la forte tête en Afrique, selon que l’on était tricard de la république française ou délinquant sous Léopold II.
Nos lois, parfois sottement répressives et à d’autres moments aussi sottement laxistes, doivent être assumées par le législateur boulimique et respectées par le gouvernement.
Dehaene qui cherche une loi adaptable à BHV n’a pas besoin de trop s’en faire. Il peut bricoler n’importe quoi, nos artistes n’y verront que du feu, la preuve !