Fou ou menteur ?
A la suite de l’effondrement de l’Ancien Régime, les premiers démocrates étaient tous novateurs.
Bonnes ou mauvaises, les idées ne manquaient pas. Elles attestaient de la vigueur d’une nouvelle manière d’atteindre à la justice sociale.
Hélas, celle-ci ne parvint à s’imposer que par à-coups et pendant de courtes périodes au cours desquelles on s’aperçut qu’entre l’individu et le collectif, des réticences égoïstes subsistaient dues aux soupçons de duplicité du riche envers le pauvre, et du pauvre envers le riche. Les soupçons se justifièrent souvent de part et d’autre, à la différence que le riche peut attendre des jours meilleurs et vivre sur ce qu’il a accumulé, le pauvre ne le peut pas, d’où sa nécessité de se louer aux riches. Il fallait faire croire que cette situation n’était pas déshonorante. On attribua à la notion de travail des qualités qu’elle n’avait pas.
Au fil du temps, on s’aperçut que l’égoïsme était un moteur efficace. Chaque Etat fixa les règles de redistribution par un système social, en établissant des normes afin d’équilibrer accumulation et prélèvement, en harmonie concurrentielle avec ses voisins.
C’est la social-démocratie qui est allée le plus loin dans l’application de cette formule simple.
On en serait resté à l’échange si les Etats avaient poursuivi le rapport de force équilibré entre le politique et l’économique, afin de garantir une stabilité de vie pour ceux qui n’ont que la force de travail pour tout capital.
A la faveur de la crise de 2008 (le phénomène est plus ancien), on s’aperçut qu’une récession stoppant la croissance empêchait de garder le précieux équilibre. L’avance technique libérait des milliers d’emplois désormais obsolètes, alors que la main-d’œuvre abondante allait être concurrencée par la poussée démographique de l’hémisphère Sud, tirant les salaires vers le bas.
Si bien que le principe de la social-démocratie devint caduc, puisqu’il était impossible désormais de réguler travail et capitalisme, dans la poursuite d’un progrès social..
Mais ce déclin n’allait pas créer de nouvelles conditions du rapport entre capital et travail, ni modifier le principe de la social-démocratie, si bien que celle-ci ne correspond plus à une forme de progrès continu, mais procède désormais d’un processus de contention des forces de travail dans son dialogue avec le capital.
C’est à peu près jusqu’ici le discours de Sarkozy à Davos. Après, les conclusions ne sont pas les mêmes, surtout dans sa déclaration de foi absolue dans un capitalisme que le président français se fait fort de « moraliser » !
Le politique en 2010 n’a que des objectifs limités à une paix sociale établie sur l’hypothèse d’un consensus de crise entre le capital et le travail, étant entendu que l’objectif est de substituer la notion de progrès à celle de sacrifice « nécessaire » des populations laborieuses, sous le prétexte que demain, cette politique insufflera de la « vertu » au système. Or, tout concourt à penser que c’est le contraire qui va se produire.
Mais, grâce à une psychologie étudiée pour la masse, l’important ce n’est pas l’analyse qui compte, mais l’impression que les populations ont de la crise et de la façon de la surmonter.
La maîtrise de la psychologie des populations est aujourd’hui l’élément capital qui fait qu’il n’y a pas de révolte parmi ceux qui vivent dépouillés et humiliés. Ce qui semblait individuel, chômage, état de besoin et nouvelle pauvreté était en réalité collectif. L’assujettissement du comportement n’est que la coercition à la psyché collective.
Voilà pourquoi les détenteurs du pouvoir économique dépensent sans compter pour des études statistiques de milieu, pourquoi il est quasiment impossible d’atteindre à la grande diffusion des idées contradictoires dans de nouveaux supports de publication et comme Internet sera demain un enjeu pour le maintien du statu quo des pouvoirs de l’économique et du politique.
Il faut savoir – contrairement à ce que l’on croit du capitalisme et des couplets sur la liberté d’entreprendre - la personne ne représente rien par elle-même, elle ne jouit d’aucune réalité propre, elle n’est qu’une fiction de compromis de l’ensemble social à seule fin de savoir de combien d’unités son poids infime doit être multiplié afin de peser réellement.
Abandonnons les sottises entendues si souvent de la bouche des libéraux que le système prend en compte l’individu dans son ipséité. C’est tout le contraire. Seule la fortune personnelle et non pas l’individu, le réalise.
La personne n’est qu’une réalité secondaire, une construction chimérique, une apparence si l’on veut l’interpréter par rapport à l’ensemble.
Le seule différence qui sépare le capitalisme de son surgeon le communisme, tient dans la supériorité de la dialectique capitaliste pour faire passer dans les populations un a priori trompeur du souci de l’individu de l’un par rapport à l’autre.
Le moteur du profit semble moins impressionner les masses que l’aventure d’un parti populaire unique. La propagande libérale n’a pas investi dans la manipulation de la psychologie des foules à fonds perdus. C’est payant à l’heure de la crise.
Celui qui espère moraliser le système, devenu entre-temps mondial, est un fou ou un menteur.