Graines de bagne…
Avons-nous changé l’état de nos prisons et de notre justice ?
Ou est-ce pire en 2010 qu’avant ?
Déjà le nombre de prisonniers à singulièrement augmenté, mais pas en proportion des USA (1).
Est-ce notre système qui fabrique de la délinquance ou notre police qui est plus efficace ?
La réponse varie selon la sensibilité de gauche ou de droite de celui qui s’exprime.
Peut-être, sont-ce aussi les lois qu’adorent déposer les gouvernements inefficaces et qui s’imaginent diriger le pays par lois et ordonnances. Depuis que Laurette Onkelinx est passée par la Justice, l’accélération des propositions de loi, certaines si imbéciles qu’elles ne s’appliqueront jamais, a eu une influence fâcheuse sur les citoyens et la justice rendue en leurs noms…
Jadis, les rois montraient leur puissance par des exécutions publiques. Il y avait peu de prisonniers, attendu que les prisons servaient d’antichambre des exécutions et ceux qui échappaient à la potence étaient bannis.
Les longues peines n’existaient pas, sauf lorsqu’elles étaient l’instrument de la haine d’un puissant à l’encontre d’un malheureux. C’est l’histoire du marquis de Sade, poursuivi sa vie durant par la haine de sa belle-mère, puis par la méfiance de Napoléon à l’égard du subversif. La plupart des prisonniers que l’on n’exécutait pas et qui n’avaient pas les moyens de l’exil, étaient conduits à la nef des fous avec les vagabonds, les prostituées, et les orphelins.
Les originaux, souvent des personnages gênants pour le pouvoir, y séjournaient plus ou moins suivant le caprice du prince.
C’était un lieu clos, sorte de cour des miracles où l’on vaquait et divaguait d’un couloir à l’autre, les agités étaient entravés. Ils ne survivaient pas longtemps à ce régime.
Dès l’Antiquité, pour rendre plus rapides les vaisseaux de guerre, on en fit des galères. On y envoyait ramer pour le simple vol d’une dentelle. Tous les rameurs n’étaient pas des galériens, de pauvres diables y étaient volontaires.
Avec la démocratie et l’élévation du niveau de vie, les vols et les déprédations emplissent nos prisons de sujets ardemment capitalistes et qui ont cru à un enrichissement rapide comme les banquiers de 2008.
L’éducation reçue selon laquelle il convient d’être quelqu’un « qui se bat » dans un système où tout est à prendre sans se faire prendre, pousse la délinquance à s’adapter et, en multipliant les formes d’action, augmente d’autant les occasions de faillite, au propre, comme au figuré.
Le Robin des Bois qui vole « pour le peuple » fait partie de la mythologie au même titre que le politicien qui fait de la politique « par amour du bien public » (on ferait mieux de mettre ce dernier terme au pluriel).
Dans beaucoup de pays, l’autorité habilitée à mettre des gens en prison est la justice. Bien entendu, il y a d’innombrables situation où la justice n’est en fait que l’exécutif du pouvoir. Dans la plupart des cas, elle est sous influence, au moins de l’air du temps de la société dans laquelle elle fait son métier. Criminelle au début du siècle dernier, l’avorteuse peut aujourd’hui faire fortune dans la contraception. Par contre, le raciste qui vivait de sa prose dans « Gil Blas » en 1900 peut finir en prison pour propos antisémites dans n’importe quel journal !
La fameuse indépendance de la justice est évidemment un leurre souvent employé dans les démocraties afin de dédouaner après-coup certains écarts qui suscitent la colère ou l’incompréhension des foules.
Après tout, les juges sont des gens comme les autres, avec leurs défauts, leurs qualités et leurs vices. Juger en faisant abstraction de ce que l’on est, est contraire à la psychologie des individus, néanmoins cela peut arriver. En jouant du droit et de l’usage, on peut rester intègre ou devenir une sacrée fripouille avec tous les honneurs de l’honnête homme.
C’est pourquoi, on a raison de dire que la justice n’est pas qualifiée pour dire le juste et l’injuste, mais pour trancher dans la droite ligne des mœurs et du cadre d’une société déterminée, selon un Droit établi par l’usage et les hommes d’influence. La justice n’est là que pour maintenir l’ordre public, étant par là conservatrice par essence.
Parfois, prenant son courage à deux mains, quelqu’un milite pour une cause qu’il croit bonne, comme l’abolition de la peine de mort proposée par Badinter et promulguée sans avoir demandé l’avis des gens majoritairement pour le maintien.
Depuis les années 80, des décisions administratives privent tous les jours des personnes de liberté, comme peuvent le faire la police des frontières et le Service des Etrangers.
Y a-t-il eu vraiment des changements radicaux entre les prisons de l’Ancien Régime et les prisons de nos démocraties ?
L’insalubrité et la promiscuité y sont quasiment identiques, les humiliations et les fouilles à corps font partie des règles strictes d’application, le travail, s’il n’est pas obligatoire, ni celui d’un galérien, y est fortement conseillé. La rééducation et la scolarisation que l’Administration pénitentiaire nous propose à titre d’exemple touchent infiniment peu d’individus. Beaucoup de prisonniers relèveraient plutôt de l’hôpital psychiatrique. Comme là, il y a encore moins de places, on comprend la confusion des genres.
L’Etat de droit aussi bancal soit-il ne doit pas s’arrêter aux portes des prisons. « Une société se juge à l’état de ses prisons » a dit Albert Camus. Sacré Albert, une société se jugerait plutôt à la diminution de celles-ci en corrélation avec la diminution du nombre de ses prisonniers. Or, avec la criminalisation de la misère, c’est au contraire un accroissement de détenus que l’on observe.
La nouveauté consiste en Belgique à exporter nos détenus vers les prisons hollandaises, les nôtres se révélant trop peu nombreuses. En France, c’est la garde à vue qui fait problème.
Parfois c’est la justice qui ne suit pas, submergée par les affaires, puis c’est au tour des prisons d’être des endroits infâmes et surpeuplés.
Juge-t-on le degré de civilisation au nombre de détenus ? Alors, nous sommes certainement plus « civilisés » ou au peu de prisonniers, dans ce cas c’est l’Ancien Régime.
Dans la confusion où nous sommes des valeurs, tant que les valeurs morales seront moins importantes que les valeurs en bourse, le nombre de prisonniers ne pourra qu’augmenter. Tant que la justice sera faussée par ces mêmes valeurs en Bourse, elle sera injuste.
On ne sortira pas du dilemme.
----
1. En juin 2008, environ 2,3 millions de personnes étaient enfermées dans une prison des États-Unis, soit environ 0,7% de la population. Dans les années 2000, le pays a le taux d'incarcération le plus élevé du monde et compte plus de prisonniers que la République populaire de Chine (environ 1,5 millions de détenus) ou que la Russie (environ 760 000) Wikipédia source.