Politique et monde réel.
Certes, la crise n’est cruelle que pour les petits salaires et pour ceux qui sont au chômage, alors, autant en profiter pour faire retomber sur eux le poids de la culpabilité du drame qu’ils vivent se sont dit les supporters du système économique mondialisé.
Comme c’est très difficile aussi d’expliquer aux gens simples que la société capitaliste dont on attendait monts et merveilles n’est pas aussi formidable qu’ils croyaient, sur la lancée de la culpabilité des premiers, pourquoi pas leur faire porter aussi la culpabilité de la débâcle du système ?
D’où l’idée d’instaurer des contrôles et des suspicions administratives pour les chômeurs à la recherche d’un emploi qui n’existe pas, et de faire croire à la nécessité de licencier les travailleurs à tour de bras « dans la mesure où cela s’avère nécessaire » pour la survie de l’entreprise, quitte à contester les fermetures pures et simples, dans une sorte de come-back du social.
Ainsi, la preuve que « c’est tout fainéant et compagnie » sera donnée par la quantité d’exclus qu’on exhibera chaque année sous forme de statistiques que les journaux complaisants reprendront sans autre commentaire.
Personne ne se demande pourquoi lorsque le chômage était en-dessous de la barre des 5 %, les mesures de coercition pour les chômeurs qui s’étaient « installés » dans le chômage n’existaient pas, alors qu’il y avait réellement des possibilités d’emplois, et aujourd’hui, qu’il frise les 12 voire les 15 % dans certaines régions, qu’il est quasiment impossible de retrouver du travail, les mesures de coercitions pleuvent et durcissent le climat ?
La raison est qu’on ne peut pas défendre en Haut-lieu une économie qui prend eau de toute part, en reportant sur la seule droite libérale l’échec d’une société co-fondée par la droite et la gauche. Il faut donc que les victimes allègent le poids des coupables par une co-responsabilité. Sinon, c’est tout le corps électoral de gauche qui pourrait rechigner à suivre une politique fondée sur la collaboration des classes, que résume la social-démocratie initiée en Belgique par le PS.
A partir du moment où l’on convainc à gauche que les chômeurs sont souvent victimes d’eux-mêmes plutôt que de la conjoncture, c’est tout bénéfice pour la pérennité du système.
Le plan actuel d’accompagnement des chômeurs a été institué dans ce seul but. En effet, aucun économiste sérieux – hélas ! ceux qui sont consultés par voix officielle et journalistique ne le sont pas – ne peut raisonnablement espérer grand chose de la remise au travail par un plan, fût-il le plus génial du monde, quand l’offre est quasiment nulle.
Ce plan est même extrêmement dangereux quand on considère le pouvoir qu’on y donne à certains des personnels du FOREM et de l’ONEM de juger de la capacité d’un tiers à se faire embaucher, surtout s’il est demandé de faire du rendement par des placements ou des sanctions.
En réalité, ce plan n’a qu’un seul mérite c’est d’offrir des emplois dans les services du FOREM et de l’ONEM.
C’est tout de même paradoxal que le PS et le CDH se soient montrés ouverts à la discussion avec les syndicats, quand ce sont eux avec la participation active de Joëlle Milquet, ministre du travail, et Antoine à la Région, qui ont mis en place les mesures controversées.
Ils auront beau se défausser sur le MR en sous-entendant que ce parti ne souhaitait pas entendre parler de mesures d’assouplissement, alors qu’il n’a pas encore donné son avis sur la question, personne ne croira que Di Rupo et Milquet seraient victimes de l’intransigeance de Didier Reynders.
La vérité est que la crise en secouant le monde du travail a remis en cause l’efficacité du monde politique à régler des problèmes touchant à l’économie et par voie de conséquence, du social.
Aussi, afin de présenter des bilans d’emplois justifiant une reprise effective appuyant les songes creux de Guy Quadden qui confond résultat bancaire et reprise sociale, ils sont arrivés à considérer qu’il fallait faire apparaître par tous les moyens des chiffres du chômage moins accablants. Je ne veux pas croire qu’ils étaient assez naïfs pour espérer que des plans d’emplois sans poste à pourvoir allaient avoir un effet positif. Ou alors, troisième et dernière hypothèse, Di Rupo et Milquet en sont arrivés à considérer le chômeur de longue durée comme un fin carottier à qui une douche froide est nécessaire.
Inutile d’imaginer l’effet désastreux sur l’embauche que représente pour le salariat la démarche d’aller se présenter dans des entreprises qui n’embauchent pas et ce à jets continus. C’est une pression indirecte adressée aux personnels disposant d’un travail au sein de l’entreprise. Il y a gros à parier que des entrepreneurs doivent tenir un langage proche du chantage en interne aux travailleurs mécontents, en leur disant « Voyez comme tous les jours des chômeurs battent la semelle devant les bureaux de l’usine à la recherche d’un emploi. Et si vous n’êtes pas contents de votre sort, vous pouvez partir. Je ne vous retiens pas, quand des centaines de vos semblables pleurent pour un engagement ».
Finalement, c’est le seul résultat pitoyable auquel on sera arrivé : une arrogance supplémentaire des uns et une humiliation accrue des autres.
A bien considérer les mesures d’accompagnement et les manières de « jauger » les demandeurs d’emploi, on se demande si tout cela n’est pas une pelletée de terre de plus sortie du fossé qui sépare dorénavant le politique du monde réel.