Casino bancaire !
Les prix Nobel de l’économie donnent l’envie de parler des marchés financiers.
Les activités financières pompent les meilleurs esprits de nos écoles spécialisées des sciences économiques. Dans un sens pratique, ce n’est pas bête de la part des têtes d’œuf qui espèrent le feedback (1) aussi positif que possible en monnayant leurs études, là où elles rapporteront le plus.
Pour l’industrie et le progrès humain, ce sont des intelligences perdues.
Le plus clair des activités qui paient consiste dans l’interprétation de tableaux que produit une batterie d’ordinateurs. Ce capteur universel a été programmé pour prendre les mêmes décisions que l’utilisateur de la souris. L’alignement des chiffres des marchés est froid et sans « état d’âme » puisque l’ordinateur ne pense pas. Pourtant, les beaux esprits qui passent leur vie devant les écrans, lui attribuent du sens, comme s’il était un partenaire humain.
Dès 1994, année de la crise obligataire (2), l’informatique s’empare, pourrait-on dire, des mécanismes de la finance et devient l’outil principal, sinon unique, des opérateurs financiers.
Aujourd’hui, l’ordinateur dispose des moyens mnémotechniques pour conférer aux chiffres une objectivité qui fait croire à leur permanence dans un cadre financier.
C’est l’histoire du comptable qui alignait des chiffres dont il vérifiait et revérifiait sans cesse le bien fondé à chaque opération et qui découvre la machine à calculer, lourde et imposante à ses débuts, avant la calculette minuscule qui fait tout, mieux que personne !
Cette naïveté de croire en la mécanique est aussi vieille que la machine à calculer de Blaise Pascal, l’ordinateur vient renforcer ce mythe, car il est vendu comme la machine qui ne se trompe jamais.
De sorte qu’aujourd’hui si l’ordinateur ne se trompe pas, il peut très bien établir des chiffres exacts sur de fausses données, ce qui produit quand même un résultat totalement faux !
Les modèles, que les théories financières établissent, le sont certainement aussi, puisqu’ils n’intègrent pas les modifications de comportement des acteurs en cours de calcul, sur l’effet produit par les variations des prix des matières premières. Autrement dit, l’ordinateur n’intègre pas les sentiments et ne dispose d’aucun élément capable d’en analyser les variations. C’est là que l’homme intervient avec ses désirs, ses peurs, ses croyances et ses ambitions, sauf qu’il n’est pas un comédien sur la scène d’un théâtre, tout au plus un acteur médiocre d’une farce de laquelle ceux qui font la véritable richesse d’un pays sont exclus.
Les salles de marché sont des antres de fous. Chacun surveille son voisin, les chefs supervisent les sous-chefs, si bien qu’un type seul ne peut pas s’engager comme Kerviel pour près de cinquante milliards, sans des complicités au sommet, comme le médiocre procès de Paris ne l’a pas démontré.
Les pertes de certains acteurs comme celles de la banque de Tokyo en 1997 - un classique du genre - sont révélatrices d’une maîtrise perdue entre le prix « évalué au marché » et le prix « évalué au modèle ». C’est toute l’ambiguïté de la valeur non-absolue de la statistique.
Alors, à variations aléatoires, à quoi peut bien rimer la valeur des marchés ?
Si ce n’est à drainer de l’argent, sans un autre objectif apparent que celui de la banque en face, dans le seul but de retirer du cash d’une virgule qui se déplace ou un chiffre succède à un autre, dans une sorte de poker menteur pour un pot qui appartiendra au plus chanceux.
Ajoutez à cela la chronolâtrie épistémologique de tous ces cinglés et vous saurez pourquoi la banque conduit à l’adoration de l’éphémère.
C’est la première fois dans l’histoire du capitalisme que la spéculation ne touche ni des produits finis, ni des matières premières ; mais vise surtout des produits boursiers, des promesses d’achat ou même d’achats « loués » avec de l’argent qu’on ne possède pas en fonds propre, des hypothèques qui ne valent pas un clou, etc. C’est-à-dire qu’on a réussi à établir une véritable industrie sur du vent !
Une pratique plus ancienne, mais qui a décuplé ses activités consiste à jouer sur les changes, c’est-à-dire spéculer sur le taux des monnaies, rendue possible grâce, encore une fois, à l’ordinateur qui donne en instantané les cours des différentes places boursières. Il s’agit ici de sommes considérables pouvant atteindre quelques milliards qui se déplacent en cherchant la plus-value, tout en pesant elles-mêmes par leur masse sur les taux.
Les déclarations des politiques après la crise de 2008 sont restées sans effet sur les jeux financiers, de sorte qu’une crise sans commune mesure avec celle de 2008 pourrait survenir sans qu’on ne puisse en arrêter le cours.
Tout le monde le sait. Tout le monde se tait.
C’est ça le capitalisme aujourd’hui.
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1. Effet de rétroaction pour signifier qu’« un objet est contrôlé par la marge d’erreur qui le sépare à un moment donné de l’objectif qu’il cherche à atteindre ».
2. Les marchés obligataires, qui avaient trop anticipé la poursuite de la baisse des taux courts, effectuent une correction brutale de plus de 200 points de base pendant presque toute l'année.