Une affaire chasse l’autre !
Quoique antérieur à l’affaire Woerth-Bettencourt, l’attentat de Karachi vient télescoper l’actualité au point de rendre les tribulations de l’héritière de l’Oréal auxquelles s’adjoint l’affaire de l’hippodrome de Vincennes pour le seul Woerth, tout à fait mineures.
Qu’on en juge. L'attentat de Karachi de mai 2002 a couté la vie à 14 employés de la Direction des constructions navales (DCN) : 11 français et 3 pakistanais. Conséquence de l'arrêt du versement de pots-de-vin de la France au Pakistan ? On s’interroge. C'est la piste privilégiée par les juges antiterroristes qui mènent l'enquête. Sarkozy alors le bras droit de Balladur serait impliqué dans les rétro-commissions à la base de l’attentat...
"Grotesque", "ridicule", "respectons la douleur des victimes. Qui peut croire une fable pareille ?", s’est défendu Nicolas Sarkozy, interrogé sur cette affaire. "On est dans un monde où la notion de secret d'Etat n'existe plus" a-t-il poursuivi, à bout d’arguments. Au moment où l'Etat s'emploie à élargir la notion juridique du "secret défense", on comprend bien qu’on tente de couvrir les choses les plus malpropres sous le sceau du secret d’Etat.
Voici les faits en bref pour un public belge qui même intéressé par les nouvelles françaises n’est pas toujours à portée de lire un journal décontracté quand il est question des puissants et de l’Etat.
En 1994, l'Etat français vend trois sous-marins Agosta au Pakistan... à perte ! Dès le début, la DCN, qui était alors une émanation directe du ministère français de la Défense, savait que le contrat ne rapporterait rien. Le contrat est signé, le 21 septembre 1994, par François Léotard. Edouard Balladur était alors premier ministre, et Nicolas Sarkozy son ministre du Budget.
D’après Libération, début 2002, la Cour des comptes pakistanaise boucle son enquête sur des « contrats » de corruption entre des officiers pakistanais et des responsables français pour obtenir la signature du contrat. Le 30 janvier 2002, lors d'une audience publique, l'amiral Mansur ul-Haq, plaide coupable pour avoir touché des Français 7 millions de dollars environ en guise de remerciement. L’amiral de la marine pakistanaise écope de sept ans de prison, et un capitaine de trois ans. Silence radio en France.
L’affaire prend une tournure sanglante lorsque le 8 mai 2002, un bus de la DCN explose qui fait 14 morts, comme annoncé au début de l’article.
En juin 2009, l'affaire évolue pour aboutir à des révélations en cascade. Au départ, c'est l'avocat de sept familles de victimes, Me Olivier Morice, qui dévoile, jeudi 18 juin que selon les juges antiterroristes Marc Trévidic et Yves Jannier, "la piste Al-Qaïda est totalement abandonnée". Ils révèlent à la même occasion que le mobile de l'attentat apparaît maintenant "lié à un arrêt des versements de commissions" de la France au Pakistan, dans le cadre de la vente des sous-marins Agosta. "Tout remonte au refus de Jacques Chirac, en 1996, de verser les commissions liées à la vente de sous-marins, lorsqu'il apprend qu'il existe des rétro-commissions destinées à son rival Edouard Balladur", a déclaré l'avocat. Ce qu'a confirmé Charles Millon, ancien ministre de la Défense de Jacques Chirac
Jeudi 25 juin 2009, Libération revient sur une information selon laquelle le 2 septembre 2002, Philippe Japiot, patron de la branche internationale de la DCN, a écrit au juge Jean-Louis Bruguière : "C'est parce que DCN-International a conclu et mené à bien le contrat du 21 septembre 1994 que des personnels ont été pris pour cible". La lettre est complétée d'un extrait de 7 pages (sur 162) du fameux contrat de vente des sous-marins. Curieusement, le juge d'instruction ne demandera jamais la copie intégrale du contrat. Il ne cherchera pas à en savoir plus. Autre curiosité, dès le lendemain de l'explosion, les services américains informent le consulat français que la piste d'Al-Qaeda n'est pas sérieuse. Mais ces pièces seront rayées du dossier judiciaire. Concernant le volet financier du contrat, le 6 juin 2002, la Commission consultative du secret de la défense nationale a donné son accord à la déclassification de ces notes. Celles-ci n'ont toujours pas été versées au dossier.
Depuis quelques mois, ce sont les juges antiterroristes Yves Jannier et Marc Trévidic qui sont en charge de l'affaire. Bruguière s'est présenté en 2007 aux élections législatives sous l'étiquette UMP.
Cette affaire plus grave – il y a mort d’hommes - que les arrosages de l’héritière de l’Oréal pour le candidat Sarkozy à la présidence, prend une méchante tournure pour le pouvoir. L’avenir nous dira si le trône de l’Elysée conservera bien son prince jusqu’en 2012 ?