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Conte de Noël.

A la veille du sapin de la chose, on n’en peut plus de nager dans le sirop de la télé. Les resucées des succès mondiaux donnent des vapeurs même au chien d’appartement.
Un Noël blanc, franchement, à part sur les cartes postales, on n’en a rien à foutre. Les gérants des grandes surfaces sont bien d’avis.
Daisy saute dans ses leggings pour aller voir ailleurs si les gens sont moins cons. Elle revient après une minute d’égarement et avec une telle détresse dans le regard que ça doit être la même sinistrose en face. Son beauf la lorgne du coin de l’œil. S’il n’y avait pas Pupusse sœur aînée de Daisy et compagne du beauf, peut-être que le Noël blanc ne serait pas le fiasco annoncé.
Les restaurateurs s’arrachent les cheveux, vu les désistements, les biches restent à mijoter dans les casseroles. On aurait mieux fait de les laisser courir dans la forêt.
Nos babillards qui n’ont rien à dire depuis le premier janvier 2010 poursuivent sur leur lancée, plus que quelques jours et on sera à nouveau un premier janvier pour le même départ vers un vide sidéral.
Pendant qu’Armando lorgne Daisy, Pupusse poireaute dans la serre du jardin. Une idée qui lui est venue comme une montée de sève. Vu l’hiver se sont les plus sévères. Sans bien se rendre à l’évidence qu’elle en a envie, elle guette le voisin, un fonctionnaire rondouillard mais qui se soigne. Le voilà qui sort dans la neige, habillé en Père Noël… une sorte de générale en costume pour le soir.
Pupusse sent monter en elle l’envie de se farcir le père Noël dans la réserve de bois qui touche la Vecquée vers laquelle le voisin patauge.
Les bûches, ça fait ambiance, puis faut bien suppléer au chauffage central.
Voilà longtemps que Pupusse y pense. Elle le lorgnait, surtout l’été sans sa fausse barbe et sa hotte en polystyrène, encore séduisant à laver sa voiture, gauche un peu gêné par le petit ventre. On peut être voisine, on n’en est pas moins femme.
Le cul, avec père Noël, ça paraît moins culpabilisant, moins angoissant, moins tout ce qu’on veut, mais moins.
Vous devriez essayer en Mickey. Après le père Noël, c’est le déguisement le plus vendu dans le monde occidental pour les parties. Depuis le banquier suisse assassiné par sa maîtresse alors qu’il était en combinaison latex pour une plongée dans l’eau trouble du salon, il y en a pour tous les goûts. Les banquiers et les amoureux du métal jaune sont restés de grands enfants, ils précèdent les autres dans l’extravagance.
En plus de l’uniforme, ce qui excite, c’est la réserve de bois. On garde moins la vision du partenaire que l’endroit où la chose s’est produite. Aimons-nous sur l’évier chante Pauline Carton.
L’odeur des résineux, le plafond bas, l’ambiance scandinave et l’autre en veste rouge qui cherche son bonnet, que Pupusse qui a poussé la porte, a mis sur la tête et avance en riant.
Le voisin n’a pas l’air gêné de trouver la voisine à la porte de sa réserve de bois. Il ne lui montre pas qu’il est un peu mal à l’aise. El’Denise - c’est ainsi qu’il appelle son épouse – fait les lits à l’étage, rectitude militaire, son corps sec de Premier Chef passe et repasse droit comme un i devant les fenêtres. Un regard sur la réserve et c’est la cata.
On n’entre pas ainsi chez les gens sans un sérieux prétexte, d’autant que Pupusse avec sa prétention d’artiste gonfle tout le quartier de retraités, chômeurs et oisifs paisibles mélangés, fort éloignés de toute prétention à l’art. Elle n’a jamais dit bonjour au Père Noël.
Mais bon, ça sent la fête ratée, on n’a pas grand-chose à faire sous le sapin, en dehors de la bouffe, au moins cela lui fera un souvenir que le voisin racontera plus tard à des amis, en changeant le lieu, les noms, le continent peut-être ?
Pupusse s’était arrachée d’elle-même pour tenter ce coup de force. Elle l’avait vu entrer dans la réserve la défroque rouge sous le bras, ayant perdu le bonnet à mi-chemin. En un éclair, elle avait pris une décision, s’était débarrassée de ses vêtements et avait enfoui sa nudité sous un manteau de mouton retourné, comme elle avait vu faire au cinéma.
Alors, le bonnet rouge bordé d’hermine sur la tête, le manteau ouvert laissant voir dans la pénombre quelques courbes d’une femme de cinquante ans, certes, mais qui a toujours pris grand soin de son corps, le voisin, tout assotté de trente années d’une vie d’employé à la Régie des Voies fluviales, se crut dans une aventure d’Arthur Gordon Pym, le seul livre qu’il eût jamais lu en-dehors de ses manuels de la pêche à la mouche.

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Les fêtes du calendrier, particulièrement les deux dernières, sont d’un ennui profond. Surtout aux douze coups de la chose ou pire, au ‘Minuit chrétien’ braillé avec Pavarotti, enfin pour ceux qui ont encore l’enthousiasme alcoolisé capable de décoincer les cordes vocales. Aux étranges lucarnes, on est sûr, un an sur l’autre, que des joyeux fêtards se jetteront dans la fontaine de Time Square, qu’on aura un gros plan de Big Ben, que des dizaines de Pupusse iront de leur piécette dans la « Fontana di Trevi ». Cette joie des douze coups et du chant mielleux sous le sapin a quelque chose d’inexplicable. On est content, hilare même, parce qu’on est quand même arrivé au bout d’une année de crise ! Et vivant !
Le rire de contentement est le plus bête au monde. C’est le hennissement du cheval avant de plonger le nez dans son seau d’avoine. On ne sait pas pourquoi on rit, mais on rit. Cela vient du profond de soi, c’est une question de cellules rigolotes qui s’entrechoquent dans le ventre et remontent pour décongestionner les mâchoires.
Les familles recomposées selon les hasards de la fornication dispersée - les copulations anciennes ayant laissé des traces - se creusent la cervelle le temps d’arriver à minuit en masquant sous des banalités, le désir d’être ailleurs.
Pupusse et le voisin s’étaient acagnardés afin de faire la chose dans des conditions de chambre à coucher. Passer un certain âge, c’est le confort qui prime. Loin d’exciter le mâle sur le retour, l’inconfort le rebute.
La peau de mouton tempéra l’arête des bûches. La nouveauté est un adjuvant à l’âge. Même, si ce fut en un sens complètement raté et l’orgasme remis aux calendes, l’image de la scène resta comme un tour hardi du père Noël à Pupusse et de Pupusse au père Noël.
- Qu’est-ce que tu penses de la voisine, avait dit sa femme, une heure avant, au père Noël ?
Il n’en pensait rien, parce qu’il la trouvait moche, insignifiante, chipotant toute la journée à des trucs qu’elle appelait de l’art et qui pour lui n’était que des immondices, un passe-temps pour femme désœuvrée. Il n’en pensait rien, parce qu’il n’avait jamais pensé grand-chose et qu’il préférait par-dessus tout la pêche à ligne, parce qu’elle lui évitait de penser.
Le curieux, c’est qu’après l’épisode de la réserve à bois, il lui sembla raisonnable de ne pas saluer Pupusse, comme il l’avait toujours ignorée après plus de dix ans de voisinage.
Et il plaignit le pauvre type qui devait « se faire » Pupusse, en lui vouant une admiration sans faille, tant les artistes sont susceptibles.
Ce n’était pas Daisy qui aurait ramassé le bonnet afin de trouver le prétexte de passer à l’action dans la réserve à bois. Elle avait le dégoût prompt et l’employé replet quasiment chauve n’offrait que le triste spectacle de la vie inutile et nuisible d’un ver à bois.
L’injustice des choses saute aux yeux plus facilement lors des fêtes ratées !
Le plaisir de contempler l’inaccessible a dû se transformer rapidement en une grande désillusion, le jour où l’alpiniste a vaincu un sommet réputé inviolé.
Par quel sortilège Daisy qui va avoir trente-cinq ans en paraît à peine vingt ? Sans doute le même qui fait que Pupusse, son aînée, à l’âge qu’elle a bien.
Le beauf qui avait vu tout le mal que Pupusse s’était donné pour séduire le Père Noël depuis les douces vitres du salon, avait enfin quelques petits secrets à ne partager avec personne. Cela enlevait toute espèce de culpabilité à ses pensées troubles en observant Daisy toute ondulante d’oisiveté et d’ennui dans l’appartement. Il la devinait nue sous la veste de mouton retourné. Il sentit la frustration du mâle attaché à une grande injustice, celle de les désirer toutes et de n’en avoir aucune.
Moralité :
Noël est l’occasion de parler et de ne rien faire. Faire quand même et en parler est foutrement inutile. La fête vous résigne à n’être que l’acteur d’un coup pour rien.

Commentaires

Le "conte" est bon mon cher Duc....

Non, Richard, t'es pas tout seul, il me reste trois sous, on va aller s'les boire chez la mère Françoise, viens, Richard, viens...

Buvons à la santé
Des putains du Carré
De Seraing ou d'ailleurs
Enfin buvons aux dames
Qui nous donnent leur joli corps
Qui nous donnent leur vertu
Pour une pièce en or
Et quand nous aurons bu
Nous pisserons comme on pleure
Sur les femmes infidèles
Dans le port autonome de Liège
A la Régie des voies fluviales..." :))

Joyeux Noël.

Merci bien à tous.
Mais ne confondons pas la chronique et le chroniqueur, Brantome et Bayard. J'essaie depuis longtemps d'établir un état des mœurs, que cela soit en politique ou dans la société. L'apport personnel est évident, mais ce n'est pas de l'autoportrait... si c'était le cas, ce serait pire !

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