Elio et le Grand Turc.
Après le spectacle affligeant de ce dimanche de parlementaires et d’intellectuels surtout francophones cherchant de bonnes raisons d’espérer et n’en trouvant pas, une vérité est apparue : le phénomène Bart De Wever n’est pas venu tout seul. Il est l’aboutissement d’un long processus de transformation de la société flamande, passé complètement inaperçu de nos messieurs de la politique wallonne, de bons bilingues pour certains, mais qui n’ont jamais rien compris à l’esprit des foules flamandes.
La Flandre vit le même phénomène qu’en Allemagne, mis en cause par Angela Merkel le 17 octobre 2010, lorsqu’elle dénonça le Multikulti (modèle allemand du multiculturalisme). Certains ont vu dans cette dénonciation une habileté politique de la chancelière, afin de rallier la droite à sa politique. En réalité le malaise est profond et touche la population allemande de souche qui à tort (les statistiques le démontrent) ou à raison (cloisonnement des minorités turques défendant leurs coutumes conjuguées à celles de l’Islam) se sent devenir « étrangère à son propre pays ».
C’est un sujet piège, tant toute interprétation en la matière peut basculer très vite dans des soupçons de xénophobie d’un discours aussitôt qualifié d’extrême droite, par des censeurs improvisés qui jettent aisément l’anathème sur qui ne pense pas comme eux.
Depuis des temps immémoriaux la Flandre s’est sentie frustrée du bilinguisme établi sur son sol établissant la supériorité de culture de la langue française sur la flamande. Cela ne prenait pas l’ampleur de la psychose actuelle, il y a un quart de siècle à peine, mais elle était perceptible. La responsabilité des hommes politiques flamands y est, sans doute, pour beaucoup dans l’accélération des choses. Ils avaient décelé dans cette fragilité, une corde sensible dont on pouvait jouer pour se rendre populaire.
L’immigration des ressortissants presque tous francophones des pays du Maghreb a alourdi l’impression négative sur les Flamands de souche.
Si bien que le français a été assimilé à l’immigration dont on sait qu’elle n’a jamais été complètement tolérée dans les milieux nationalistes, comme en Allemagne où l’immigration turque, s’y exprime plus volontiers dans sa langue d’origine, que dans celle d’accueil.
Toute une littérature en langue allemande et parfois traduite (1) explique un phénomène facilement transposable à la Flandre.
L’erreur rédhibitoire de cette politique de l’incompréhension qui aboutit à Bart De Wever et à six mois et demi d’immobilisme est principalement due au parti socialiste francophone. Je m’en explique.
Quand le schéma simpliste de la lutte du pauvre contre le riche a été récusé par les stratèges du parti socialiste dans les années 60, il fallait bien faire oublier cette intégration au système économique par quelque compensation permettant aux visionnaires des inégalités sociales d’aller voir ailleurs. Justement, les progrès et la réduction des prix en matière de transports transcontinentaux allaient permettre l’immigration de masse et à l’internationalisme des droits de l’homme de servir d’exutoire. On effaçait les traces de l’intégration économique – d’ailleurs ratée depuis – par l’intégration des immigrés – tout aussi ratée.
C’est ainsi que fut mise en place cette notion fort controversée du multiculturalisme partout en Europe de l’ouest. L’expérience heureuse d’une population européenne migrant à l’intérieur du continent, par exemple polonaise et italienne, prédisposait à l’optimisme. On s’est imaginé que cela devait aussi bien se passer avec des ressortissants d’un autre continent et avec une religion différente que celle pratiquée traditionnellement en nos pays et qui, au cours du temps avait perdu toute virulence et avait accepté la laïcité de l’Etat comme préalable à toute relation entre les citoyens. On n’imaginait pas que la religion islamique, avec des populations de mœurs et de traditions aux antipodes de celles des Européens, allait faire problème.
On comptait sur la réserve inépuisable d’altérité favorable des citoyens de ce pays, pour courir le risque de ne pas rencontrer leur point de vue.
C’est là, l’échec allemand, mais encore flamand et, dans une moindre mesure, wallon.
A l’exception de quelques remarquables réussites, cette intégration par la multiculture est une aberration doublée d’une escroquerie. Elle durcit à la fois les réactions des Belges par rapport aux flux migratoires extérieurs, mais encore durcit les rapports entre francophones et néerlandophones. Ce que continue à nier farouchement le parti socialiste.
Si ce parti avait effectivement reconnu la fausseté de sa philosophie de la multiculture sur l’intégration de l’immigration extérieure à l’Europe, et soutenu une politique proche de celle du parlement flamand, non seulement on n’en serait pas là, mais en plus le PS n’aurait pas laissé un boulevard à une extrême droite, comme il en existe déjà une en Flandre. Encore heureux que nous n’ayons pas une Marine Le Pen pour nous le faire comprendre en Wallonie.
Continuons à jouer avec le Nounours de Fadila Laanan et nous verrons bien jusqu’où nous irons dans la connerie hébétée et destructrice d’un universalisme de bazar.
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1. Ci-dessous quelques personnalités de langue allemande consultées pour ceux qui s’intéressent de très près aux phénomènes migratoires et à leurs interférences dans les pays d’accueil. Certains textes existent en français, d’autres sont à traduire.
Vincent von Wroblewsky : philosophe et romaniste ; Ulrich J. Schneider : Professeur de philosophie à l’Université de Leipzig ; Richard Herzinger, spécialiste de la littérature , journaliste et publiciste , (dégoût de la démocratie) ; Ulrich Beck (né le 15 mai 1944 à Stolp, aujourd'hui Słupsk en Pologne) sociologue allemand, auteur de La société du risque (1986) ;
Necla Kelek (née à Istanbul le 31 décembre 1957) sociologue allemande d'origine turque ;
Thilo Sarrazin (né le 12 février 1945 à Gera, Allemagne) politicien (SPD), économiste ; Axel Honneth, né en 1949, philosophe et sociologue allemand ; Peter Sloterdijk (né le 26 juin 1947 à Karlsruhe) philosophe et essayiste allemand, Colère et temps (2007) ; Dominique Schnapper (née le 9 novembre 1934 à Paris) sociologue française, fille de l'intellectuel français Raymond Aron ; Hans Magnus Enzensberger (11 novembre 1929 à Kaufbeuren) poète, écrivain.
Commentaires
La grande faute du PS est surtout de n'avoir plus d'idées! Il a eu son heure de gloire et son utilité durant la première moitié du XXe siècle; la question tabou est toutefois de se demander si l'amélioration du sort des travailleurs ne serait pas intervenue de toute façon...En effet, rien n'est plus propice à la croissance de l'économie de marché (à laquelle le PS s'est entièrement rallié)qu'une démocratie de pacotille où tous les partis et tous les individus sont lissés pour en faire une masse de consommateurs à peu près identiques qu'une poignée de mercantis manipule par la publicité.
Postée le: michel | janvier 11, 2011 09:00 AM
Echec. Les dirigeants de 1830, les fortunes sont toujours au pouvoir en Belgique. Le peuple qui travaille achète, paie ses dettes et les enrichit. Les pauvres ont de mauvaises dents et vivent dans des caravanes le long de l'Ourthe.
Postée le: JM | janvier 11, 2011 10:17 PM