L’industriel décrypté…
Des chercheurs – il se pourrait qu’ils fussent californiens mais on n’en est pas sûr (1) – ont confronté les données de cent mille cas disséminés à travers le monde occidental dans les milieux de pouvoir : entreprises, banques, personnels politiques, etc.
Bronstein (2) en dresse un portrait type, rassemblant des tares, des hérédités et des manies répandues parmi ces personnes sur la tête d’un seul qu’il appellera Aimé Surmâle. Cette chère Annie Le Brun (3), qui au passage a le bonjour d’Alfred, est la seule à vous dire pourquoi...
Dans l’étude du cas d’Aimé Surmâle, il sera laissé de côté tout ce qui ne se rapporte pas précisément aux aléas du pouvoir, par exemple les simulacres fréquents d’épilepsie, l’intolérance à l’alcool proféré et qui dissimule son contraire, etc.
Les influences de l’éducation reçue jouent un grand rôle évidemment, puisque Aimé Surmâle vient d’un milieu hyper protégé aux mœurs et traditions « classiques » libérales et patriotiques, à la fois, gauche et droite confondues.
Son premier camarade de jeu fut un cousin, à qui ne le liait pas une véritable camaraderie. Il ressentait un besoin de garçons plus âgés, de « protecteurs » comme il les appela plus tard.
Jusqu’à sa quinzième année, personne ne lui parla de sexualité. Cette éducation ne se fit vraiment qu’à son service militaire, dans une caserne-bureau, à 1.500 mètres de son domicile, ce qui lui permit d’échapper à la promiscuité des chambrées et à l’humiliation des corvées.
A seize ans, il dormait et se baignait encore avec ses sœurs. Jusqu’à sept ans, il assistait souvent au bain de son père. Sa mère se comportait tout aussi librement. Elle ne fermait jamais la porte des toilettes quand elle y urinait.
Plus tard Aimé Surmâle imita cet acte de s’asseoir sur le pot dans ses attaques hystériques devant ses subordonnés, au ministère de X.
Dans cette conduite de la mère, la coprophagie d’Aimé trouva naturellement son compte. On cite le cas d’un directeur coprophage d’une fabrique de bonbons qui à l’aide de tuyaux transparents de descente d’eau usée pouvait contrôler les fèces de ses subordonnés depuis son bureau. Il y détectait sur le champ la surabondance de sucre et après analyse, on épinglait le coupable qui était remercié.
Aimé Surmâle a une prédilection pour les objets cylindriques. Il étreint facilement les rampes d’escalier et sa lampe de bureau. L’acte de saisir le calme.
Lorsqu’il urinait en même temps que son père, il comparaît les organes génitaux et en oubliait d’uriner lui-même. Cela semble être typique de la « disuria psychica ».
L’intérêt d’Aimé Surmâle pour les testicules, qui le captivent davantage que le pénis, est significatif. Il veut saisir les testicules du garçon de café par derrière. Ses subordonnés redoutent de lui tourner le dos. Au ministère de X, les fonctionnaires s’habillent de vestes longues genre demi-saison, même en été, si bien qu’on les reconnaît dans la rue et qu’on se moque.
Parfois, il s’identifie à sa mère qui veut satisfaire un amant. Il est alors sujet à une logorrhée qui le laisse dans un état de prostration que les secrétaires redoutent, tant il devient imprévisible, dès qu’il en sort. Son hystérie prend alors la forme d’un syndrome de Gilles de la Tourette, avec une prédilection pour l’anathème au sacré. Son intérêt pour le cirque passe pour un trait sadique par excellence.
Les crises le place dans une tranche d’hypersexuel polymorphe pervers. Elles finissent par un état prostré du type borderline.
Industriel, Aimé Surmâle est toujours à l’affût d’un agrandissement de son pouvoir par l’absorption de ses concurrents. Il est d’une grande férocité quant à la ponctualité qu’il exige de son personnel. Il assimile le travail à une ascèse, un acte d’amour pour celui qui les fait vivre et les a acceptés dans son usine par bonté naturelle. Il veut, à ce propos, relancer le « réarmement moral » qui avait été abandonné dans les années soixante. C’est ainsi qu’il vénère un certain Jacques D qui mit fin à une entreprise datant de 1750, en ruinant toute une famille liégeoise honorable par ses décisions inspirées du principe qu’il faut montrer l’exemple, farouche adepte de ce concept et noceur invétéré.
Ministre, Aimé Surmâle dissimule sa nature au public et ne se montre sous son vrai jour que devant ceux qui ne le peuvent contredire. Il ne se relâche de cette conduite prudente que dans les cafés et les restaurants. Il y aime que l’on sache qui il est, ce qu’il fait et comme il considère le système libéral supérieur à tous les autres. Il prend alors une voix de stentor et s’adresse plus aux convives des tables du fond, qu’à la personne qui dîne avec lui.
L’érotisme anal chez Aimé Surmâle a une origine ancienne, une entérite de longue durée qui selon Czerny (1863-1941) pose souvent les fondements de dépressions ultérieures, jusqu’à vouloir garder ses fèces par l’avarice de ceux qui ne donnent rien qu’ils n’aient du plaisir en retour. Il avait un prolapsus recti et faisait jouer constamment son doigt dans l’anus. A l’âge adulte, il a toujours des sensations de plaisir quand il va à la selle, après s’être retenu volontairement. Il a l’habitude de régurgiter ses aliments préférés. Contrairement aux idiosyncrasies des autres enfants, il préférait aux sucettes, des aliments qui ressemblaient à des brens de chien.
Le manque d’éducation sexuelle est d’un grand poids dans le manque d’éducation tout court du personnage.
Une catastrophe financière – celle justement produite par Jacques D - entraîna un retrait temporaire d’amour maternel. A dire vrai, de tous les parents d’Aimé Surmâle, c’est encore lui qu’il préfère, considérant qu’il est « quelque chose » d’essentiel dans la parentèle. Il s’aime de façon intransigeante excluant, ses proches de toute comparaison.
Un grand rôle est joué par son auto-érotisme dans la forme actuelle d’un narcissisme césarien.
Le narcissisme n’est pas un phénomène isolé, mais un stade de développement nécessaire dans le passage de l’auto-érotisme à l’amour objet.
Etre amoureux de soi signifie qu’Aimé Surmâle ne se libérera pas de sitôt de lui-même, peut-être même qu’il ne le pourra jamais… et nous n’y pourrons rien.
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1. En réalité divagations sur des thèmes de la conférence du docteur Sadger « Un cas de perversion multiforme » (Vienne 10 novembre 1909).
2. Bronstein est évidemment un nom d’emprunt.
3. Philosophe parisienne dont Bronstein a lu tous les livres.