Un pessimiste invétéré.
Richard3.com existe depuis bientôt huit ans, à raison d’une chronique par jour, si l’on excepte quelques rares journées sans, cela fait 5840 feuillets (1), soit les textes de 23 romans de plus de 250 pages. Ceci n’est pas servi sur un plateau dans l’intention de mettre en valeur la performance ; mais, pour uniquement souligner qu’un citoyen ordinaire peut jeter autour de lui un regard critique et joindre l’écriture à l’observation sur une longue durée.
Une chose cependant m’embarrasse qui n’a trait ni aux événements, ni aux personnages réels ou de fiction faisant partie de l’univers que j’observe, ni même à la qualité bonne ou mauvaise de l’écriture et encore moins à l’intérêt ou à l’indifférence que ce travail suscite parmi des lecteurs ; mais au caractère pessimiste qui en ressort généralement.
Quand on aborde Richard3.com par hasard et qu’on y reste un long ou un court instant, c’est sans doute ce qui vient à l’esprit en premier lieu : « Ce type doit avoir toutes les misères du monde ! Les Twin Towers ont dû tomber sur ses pompes ! Tout n’est pas si noir que ce qu’il dit ! La loi, les élus, les avocats, les flics, ils ne respectent rien ! », etc… On me voit grabataire en train de crever et condamnant de mes cancers le reste de l’humanité, mon seul espoir étant que tout le monde crève en même temps ! D’autres me suspectent d’être le prince des cocus ou le roi des cons, un misérable cloporte né sans couilles, un malfaisant dégénéré. Enfin, les braves gens outrés condamnent le site et l’interdisent à leurs enfants. Ce doit être un stalinien aigri qui rouvrirait les goulags s’il le pouvait. Un gauchiste qui n’aime pas les gens. Peut-être un fils de bourgeois qui se drogue, qui se branle trop, qui saute sa belle-mère… De toute manière, quelqu’un de pas bien propre…
En 2011, si ce n’était la Toile et ses millions de signes formant des centaines de milliers de pages, on peut penser que les gens lisent moins et que le livre est en péril. C’est-à-dire que le public n’est plus aussi bien armé qu’avant pour comprendre le pessimisme.
De caractère enjoué, j’adore le mot de Chamfort et je le prends pour mien, lorsqu’il écrit « La journée la plus perdue, est une journée où je n’ai pas ri. » Quoiqu’annonçant de la gaîté et le plaisir d’être, cette phrase est pourtant d’un pessimisme rare, quand on prend le soin de revenir sur la signification de « la plus perdue ». Ainsi, même en riant, on pourrait considérer que toutes les journées soient perdues !
Nous employons plus souvent qu’il n’y paraît le mot « pessimisme » dans un sens qui ne lui convient pas trop. Un pessimiste n’est-il pas un optimiste désabusé, quelqu’un à qui on ne la fait plus ?
J’extrais de « Réflexion sur la violence » de Georges Sorel, écrit en 1908, un passage où il donne sa façon de voir le pessimisme « Lorsque nous rencontrons un homme qui, ayant été malheureux dans ses entreprises, déçu dans ses ambitions les plus justifiées, humilié dans ses amours, exprime ses douleurs sous la forme d'une révolte violente contre la mauvaise foi de ses associés, la sottise sociale ou l'aveuglement de la destinée, nous sommes disposés à le regarder comme un pessimiste, - tandis qu'il faut, presque toujours, voir en lui un optimiste écœuré, qui n'a pas eu le courage de changer l'orientation de sa pensée et qui ne peut s'expliquer pourquoi tant de malheurs lui arrivent, contrairement à l'ordre général qui règle la genèse du bonheur.
» L'optimiste est, en politique, un homme inconstant ou même dangereux, parce qu'il ne se rend pas compte des grandes difficultés que présentent ses projets ; ceux-ci lui semblent posséder une force propre conduisant à leur réalisation d'autant plus facilement qu'ils sont destinés, dans son esprit, à produire plus d'heureux.
» S'il est d'un tempérament exalté et si, par malheur, il se trouve armé d'un grand pouvoir, lui permettant de réaliser un idéal qu'il s'est forgé, l'optimiste peut conduire son pays aux pires catastrophes. Il ne tarde pas à reconnaître, en effet, que les transformations sociales ne se réalisent point avec la facilité qu'il avait escomptée ; il s'en prend de ses déboires à ses contemporains, au lieu d'expliquer la marche des choses par les nécessités historiques ; il est tenté de faire disparaître les gens dont la mauvaise volonté lui semble dangereuse pour le bonheur de tous. Pendant la Terreur, les hommes qui versèrent le plus de sang furent ceux qui avaient le plus vif désir de faire jouir leurs semblables de l'âge d'or qu'ils avaient rêvé, et qui avaient le plus de sympathies pour les misères humaines : optimistes, idéalistes et sensibles, ils se montraient d'autant plus inexorables qu'ils avaient une plus grande soif du bonheur universel.
» Le pessimisme est tout autre chose que les caricatures qu'on en présente le plus souvent : c'est une métaphysique des mœurs bien plutôt qu'une théorie du monde ; c'est une conception d'une marche vers la délivrance étroitement liée : d'une part, à la connaissance expérimentale que nous avons acquise des obstacles qui s'opposent à la satisfaction de nos imaginations (ou, si l'on veut, liée au sentiment d'un déterminisme social), - d'autre part, à la conviction profonde de notre faiblesse naturelle. Il ne faut jamais séparer ces trois aspects du pessimisme, bien que dans l'usage on ne tienne guère compte de leur étroite liaison. »
Il m’est arrivé souvent de citer des auteurs, de produire des extraits significatifs. Celui-ci est un peu long, j’en conviens, mais je n’aurais pas su mieux m’exprimer que Georges Sorel dans la préface de son livre. Je ne suis pas un épicier de la politique et je ne poursuis aucune spéculation particulière sur le caractère joyeux et optimiste d’un élu du peuple qui veut être réélu à la législature suivante.
Il est vrai que les médias n’usent jamais d’un pessimisme décapant et finalement joyeux dans les rapports qu’ils ont avec les téléspectateurs ou les lecteurs. Ils en laissent le soin aux humoristes.
Quand François Pirette joue les vieux à l’hospice, sa caricature est féroce et sans aménité, pourtant, on rit d’un drame de la vieillesse, de la méchanceté des gens et d’une société égoïste qui vous attrape dans ses filets, jusqu’au bout de la vie.
Comment voir les sujets traités sous cet angle, sinon en déformant par une constante exagération les événements et les gens ? La caricature a ses limites, et on ne peut tout exprimer rien que sur l’unique corde d’un violon.
Des sujets graves, importants ou hautement techniques ne peuvent être caricaturés que dans leur contrexemple. Les humoristes le savent bien, puisqu’ils les évitent le plus souvent.
Et puis comme a écrit Jules Renard, dans son journal, « L’homme heureux et optimiste est un imbécile ».
Je me demande si j’ai bien fait d’écrire ce soir sur un sujet qui me touche personnellement car celui qui nous aime et nous « admire » le mieux, c’est encore celui qui nous connaît le moins.
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1. chaque rubrique fait à peu près 2 pages dactylographiées format 4° coquille.
Commentaires
Bonsoir Richard,il n'est jamais trop tard pour se poser les bonnes questions !
Postée le: Dieu | avril 14, 2011 12:56 AM
Comme souvent, il vous faut deux pages pour dire "qu'un optimiste est un homme qui regarde vos yeux, un pessimiste un homme qui regarde vos pieds"!!. Mais au delà de cette réflexion, je pense tout d'abord de vous, que vous êtes beaucoup trop érudit pour une très grande majorité de personnes comme moi, qui vous lisent chaque jour. Parfois, je suis sous le charme et il arrive, que certains textes me font gerber.Au risque de me répéter, je crois que vous êtes un humaniste qui au fil du temps, se décourage devant tant de bêtises, de lâchetés, une fois de plus, je regrette que vous restiez caché derrière vos articles. Invétéré veut dire "fortifié par une longue durée", cette longue durée n'est-ce pas justement vos 5840 feuilles??.
Bonne journée mon cher Duc.
Postée le: reiter | avril 14, 2011 09:16 AM
En tout cas votre chronique est géniale. Merci pour tout ce que vous faites pour ranimer l'humain dans l'humanité qui se perd.
Postée le: Pascal | avril 14, 2011 04:33 PM