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Les larmes de la récup

C’est assez casse-gueule de commenter un événement où bon nombre y vont de leur petite larme. Malheur à celui qui sort des rangs du chœur des pleureuses. Les Choéphores le désignent en état d’apostasie. Voilà pourquoi il est si malaisé de tirer le spectateur du bain d’hypocrisie, dans lequel on le baigne.
Par contre, les politiques voient immédiatement tout le parti qu’ils peuvent avoir en tirant sur la corde de la compassion. L’émotion est-elle feinte ou réelle, perceptible par un tremblement de voix, les yeux humides, face à la caméra ? Comment la mettre en doute dans des moments pareils ?
Pourtant, on sait bien qu’il y a toujours un peu de théâtre les jours de deuil, dans une célébration collective qui n’est jamais unanime que dans ces moments là, les autres moments collectifs : les grèves, les lois sur le chômage qui regroupent dans le malheur des milliers de personnes, n’entrent pas dans le cycle des grandes compassions des drames nationaux. Sans quoi, on verrait nos ministres venir signer le livre d’hommage aux victimes, dans le hall d’entrée des syndicats,
Le journaliste, coincé entre sa rédaction et l’émotion péremptoire du lecteur, joue sa place s’il ne colle pas au délire collectif attentatoire à toute considération autre que l’indignation et la douleur.
Dans le cas du politique, c’est clair, il doit louanger la police, se féliciter de la bonne entente organisationnelle entre les services de secours et les services du maintien de l’ordre, puisque la bonne tenue des uns et des autres rejaillit sur lui.
Les règlements de compte entre services, les défaillances de la police, la confusion dans les équipes médicales, la panique des services et des personnels gagnant la population, l’absence de sang-froid des autorités responsables, se règleront plus tard, loin de la connaissance du public, dans des huis-clos administratifs.
Dans ce cadre là, oui, tout a été pareil qu’ailleurs. L’Europe, à l’échelon des malheurs, a accompli son unité depuis longtemps. Même Cameron, l’insulaire, n’en doute pas.

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C’est ainsi qu’il ne faut pas être un grand devin pour imaginer la suite.
Fin de semaine recueillie, quelques nouvelles des survivants, la peine immense, bien réelle celle-là, des parents des victimes, avec en soulagement d’appoint, la visite du couple royal aux chevets des rescapés et l’avalanche de psychologues tombant sur un quarteron d’éperdus pathétiques. La spécialité des aides en assistance, comme Grouchy, c’est d’arriver toujours après. La mission n’est pas d’aider les victimes, mais de faire croire aux foules que l’autorité s’en inquiète.
Profitant du courant favorable, quelques députés, à moins que ce ne soit sur proposition de la ministre de l’intérieur, déposeront un projet de loi sur la vente et la détention d’armes à feu. Ce sera le xième qui ne règlera en rien le trafic de kalachnikovs depuis les anciens théâtres d’opérations guerrières des Balkans, mais qui fera tout de même bien dans le décor tendu de cette fin d’année et qui permettra de recueillir quelques armes de chasse rouillées et le pistolet ramené de la guerre du grand-père et qu’on garde dans un tiroir, sans plus savoir si on a encore des balles.
Bref chacun aura eu l’air de faire son devoir, tout en lorgnant de l’œil la trêve des confiseurs qui n’est plus très loin, en mesurant, sans l’oser pouvoir dire, le bon goût du forcené qui n’a quand même pas disjoncté un 24 décembre…
Ce n’est pas cette fois qu’on va essayer de faire comprendre aux gens que nous ne vivons pas dans un univers ouaté, que l’homme est ainsi fait et que des abominations de cette sorte, il en existe depuis l’Antiquité et qu’enfin, plus la science perfectionne nos outils pour soulager du travail nos existences, plus elle perfectionne aussi les outils donnant des occasions de les supprimer.
Rien ne sera dit, ou presque, sur la rapidité de la communication par téléphone portable, redoutable instrument qui permet aussi de photographier tout et tout de suite, ce qui dans certains cas est une bonne chose et qui, dans d’autres, peut aider à répandre de fausses informations concourant à créer une panique générale par contagion.
L’ambigüité par l’ubiquité virtuelle des images de la violence et de leur dissémination partout dans le public, par la profusion des moyens, ne sera pas à l’ordre du jour.
Malgré tout, les forces au pouvoir resteront les mieux placées pour contrôler l’information, même s’il y a concurrence. Quand on voit l’influence de la manipulation publicitaire, on se doute bien qu’ailleurs aussi, on a les moyens de nous manipuler.
Le principe est simple, il consiste de donner des images favorables et de s’employer à ce que les autres ne le soient pas. Coller à l’air du temps est le B.A.B.A. de l’apprenti parlementaire.
Je reprends l’exemple du journaliste qui ne peut faire autrement que suivre l’opinion générale. Tout au plus pourra-t-il glisser sur l’origine du forcené afin de ne pas attiser la haine raciale, qui est déjà suffisamment ancrée dans la population. Mais c’est à peu près tout. Cette autocensure s’applique autant vis-à-vis de sa direction, que des pouvoirs.
Le malheureux éditorialiste du Soir n’a eu d’autres ressources que de voir poindre sous l’œil cerclé de fard de Joëlle Milquet, une larme à propos du drame. Vraie ou fausse, cette larme ravit tout le monde, y compris l’intéressée, mais était-ce bien ce qu’il fallait écrire d’intérêt public ?
Je n’en suis pas certain.
La politique qui s’offre en spectacle, à la suite de l’événement de Liège, dévalorise l’information méditée. Elle livre, à ceux qui observent, les recettes d’un marketing perpétuel qui n’a rien à voir avec une efficacité d’authenticité sociale.
Pour l’heure, elle paraît efficace à écarter du débat public, les types louches de mon genre.
C’est toujours ça !

Commentaires

Pas de larmes de récup, des danses de joie! Oui, en bon égoïste puisque je n'y étais pas.

La larme. C'est parce qu'il y avait du vent. Je suis d'accord avec votre texte. Il faut un peu de silence.

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