Sceptique et réfractaire.
Cela a toujours été un mystère pour le sceptique : la conviction exaltée et exclusive pour un parti, l’amour d’un grand leader, la révélation d’une doctrine… la certitude que ceux, pour lesquels on vote, ont toujours raison !
De la même manière, la démocratie, comme les croyances, avec ses apôtres, ses doctrinaires et ses présidents favoris (Sarko est pire que Chirac ou Mitterrand n’aurait pas fait mieux !), ne trouvent que peu d’échos chez le sceptique.
Il y a une disproportion dans la sensibilité de pleurer à l’accession au pouvoir du leader qu’on admire, et pleurer devant la misère humaine de tous ces enfants qui naissent pour souffrir tout de suite et disparaître bientôt, parce que le monde ainsi fait les condamne. Je préfère réserver mes larmes pour les seconds. Je n’ai pas la bosse de l’admiration béate pour l’autre.
Etre de gauche, c’est par principe et parce que rien ne se crée sans la multitude. La multitude est la plus à plaindre sous tous les régimes, qu’ils aient été créés pour elle ou contre elle.
Comprenne qui voudra, je n’accorde jamais qu’une confiance partielle à n’importe quelle hiérarchie. Qu'elle soit de gauche ou de droite, chacune d’entre elles a quelque imposture à nous cacher.
Cependant, une organisation sociale ne peut se passer de dirigeants qui se recommandent d’une coterie, j’en ai conscience. Aussi, suis-je pour des accès momentanés et alternatifs au pouvoir. Hélas ! cela ne se peut en Belgique.
La politique consiste dans la volonté de conquête et de conservation du pouvoir ; elle exige par conséquent une action de contrainte ou d’illusion sur les esprits… Le politique finit toujours par falsifier (Paul Valéry).
Une démocratie comme la nôtre est parfaitement détestable pour l’arrangement entre partis d’un gouvernement « d’union nationale ». Le consensus n’existant pas entre les partis - sans quoi il n’y en aurait qu’un seul - l’union nationale signifie que les partis s’annulent pour diriger ensemble, laissant leurs idées et leurs originalités pour nous servir une soupe commune qui ne peut être que médiocre.
Ce n’est ni la gauche, ni la droite qui imprime sa marque, mais une sorte de direction idéalisée, non pour améliorer l’état social des habitants, mais pour sauver une abstraction qui s’appelle Belgique et ses protégés intégrés, royalistes par calcul, banquiers ou assimilés par conviction.
Parfois, je marche à fond pour une idée, mais est-ce pour cela que je devrais me déterminer pour toutes les idées de la même origine ?
Quand Liebknecht écrit : « La bourgeoisie existe par les ouvriers, sans ouvriers elle cesse de vivre et c’est par les ouvriers qu’elle doit périr ; elle ne peut sortir de ce dilemme. », je suis intimement convaincu qu’il a raison. Est-ce pour cela que je doive être à la dévotion de ce qu’il préconise pour arriver à secouer la multitude – combien inerte – afin qu’elle rentre dans ses droits, ses biens et son pouvoir ?
Beaucoup de gens, pensant comme ça, sont victimes de dialecticiens subtils. Ceux-ci rétorquent qu’à force de chipoter sur tout, ergoter sur les principes, s’interroger sur l’action à mener, on finit par ne rien faire.
A cela une seule réponse : faire un parti à grands renforts de certitudes et terminer par un grand meeting qui réunit douze personnes, ne sert à rien non plus.
Plus intelligente serait la question de savoir pourquoi, même dans des situations d’exploitations honteuses et de misère noire, il n’y a que douze personnes à une réunion dont l’ambition est de changer l’ordre des choses ! C’est-à-dire de changer une manière de vivre désolante.
A moins que la multitude soit ainsi faite et qu’on n’en tirera jamais rien de réfléchi ?
Ceux qui pensent cela, sans avoir osé jamais pouvoir le dire, ont créé en langage politique « des minorités agissantes ».
Ils disent tout haut qu’il n’y a pas plus important que prendre soin de la multitude, ce que je crois aussi, mais, puisqu’elle ne comprend rien momentanément aux enjeux, eux, qui ont tout compris, agissent en son nom !... évidemment sans lui demander son avis, puisque de toute façon, la multitude est bouchée à l’émeri.
N’allez pas croire que je suis en train de faire l’apologie de la démocratie par l’absurde, puisque les démocrates pensent exactement le contraire, mais pour un résultat identique ! On s’empresse de demander l’avis des gens pour s’en dispenser par la suite, au nom – c’est le comble de l’hypocrisie – de ceux qui pensent pour tout le monde, sans penser pareil !
Dans le premier cas, on ignore le suffrage de la multitude ; dans le second, on fait semblant de le prendre en considération.
Voulez-vous que je vous dise ? La première méthode est, certes, plus brutale ; mais, elle est moins malhonnête.
C’est toute la différence que j’accorde au battant courageux qui réunit péniblement douze personnes dans une salle, le soir après le turbin.
Pour contenter tout le monde, ce sera à un homme de droite de l’Ancien Régime – pour montrer que je ne suis pas sectaire - à qui je laisserai le dernier mot « En voyant quelquefois les friponneries des petits et le brigandage des hommes en place, on est tenté de regarder la société comme un bois rempli de voleurs, dont les plus dangereux sont les archers préposés pour arrêter les autres. » (Chamfort)