Embellie à Villepinte.
La télé est imbattable quand elle livre en direct un événement, comme on se fait un œuf sur le plat. Ça coince toujours un peu aux commentaires du babillard de service. Les journalistes sont ainsi faits, ce bourgeoisisme gluant qui colle à la peau des middle class, finit par transparaître sous les tonnes de précautions. Cependant, on voit mieux de chez soi que des derniers rangs d’une salle gigantesque.
Dans le fond, Hollande n’est pas si éloigné que cela de Sarkozy. Il l’était plus du président, que du candidat. Les solutions se rapprochent. Il y a un mois, taxer les riches était une hérésie pour Fillon. Aujourd’hui, Sarkozy va plus loin que Hollande sur la chose. C’est dire…
Le téléspectateur aura eu la chance d’entendre les discours, de voir la foule qui s’agite sous l’injonction amicale des chauffeurs de salle, de jauger du rempli ou du faux rempli de la salle et du décor. Ah ! si Sarkozy pouvait être un éternel candidat… il serait meilleur que Hollande président !
On a eu la démonstration dimanche à Villepinte, au grand meeting organisé par l’UMP, pour relancer la campagne de Nicolas Sarkozy : la culture bourgeoise est l’efficace mastic social des grandes fissures sous l’évier des convenances.
Ici pas de chaises sur l’estrade et le candidat devant, tout à son discours. Rien qu’un grand espace pour un homme seul, qui s’avance à pas lents sous les acclamations. On est saisi par la symbolique, on pense à Nuremberg… Il y a des décors et des espaces qu’on devrait utiliser avec parcimonie…
Ça n’est pas fait pour un programme, une salle comme à Villepinte, mais pour frapper l’imagination, que le grandiose circule, d’une chaîne de télé à une autre. Peu importe les mots, ce qui est dit est souvent d’une grande banalité et lorsqu’il y a une annonce d’un type nouveau, on peut être certain que si elle est profondément originale ou qu’elle tranche sur ce qui a déjà été entrepris, il y a de grandes chances une fois le candidat élu, qu’elle retombera aux oubliettes.
C’est ça la culture bourgeoise : un cœur grand « comme ça » et un esprit comptable pour la suite. On l’a bien vu avec Chirac et sa France coupée en deux. Après son quinquennat, elle l’était plus que jamais.
Sarkozy, candidat à Villepinte, a critiqué implicitement le président en exercice. Le malheur, à moins que d’être un fanatique aveuglé par la mise en scène, le président, c’est lui. On se demandait même par moment si Sarkozy ne se prenait pas pour Hollande et Hollande pour lui, le président.
Quant à ses menaces de sortir de l’espace Schengen, elles succèdent à une idylle avec Angela Merkel, qui soutient le traité de Maëstricht, donc Schengen. C’est dire le virage sur huit jours !
Mais il paraît que l’ensemble de l’électorat français ne raisonne pas de cette manière, et même il ne raisonne pas du tout, puisque les sondages créditent le président de 28,5 % (+1,5 %) contre 27 % (-1,5 %) à son rival socialiste (sondage de l’IFOP, propriété d’Anne Parisot, patronne des patrons français).
Même si Hollande reste victorieux au second tour, on voit bien la versatilité de l’opinion et on comprend aussi qu’avoir de grands moyens dans une campagne électorale, sont des éléments supérieurs à la rhétorique et au programme.
Il y a cependant quelque chose qui a profondément changé dans l’attitude d’une large partie de l’opinion vis-à-vis des candidats. L’électorat de Mélanchon grossit à vue d’œil (10 % d’intentions de vote).
C’est le rejet des élites, le ras-le-bol des donneurs de leçon.
La crise dans sa dure réalité touche les gens modestes en priorité, mais elle a permis de dégager une autre crise, celle morale des classes dirigeantes.
Le divorce est profond entre ceux qui disposent du droit quasiment naturel à conduire, non seulement les parlements, mais aussi les entreprises, et nous chétives créatures....
Nous n’avons plus aucune estime envers ceux qui se présentent au devant de la scène pour expliquer que si la situation est mauvaise, quelque part, c’est de notre faute, discours identique du pouvoir économique et du pouvoir politique.
A tel point que Sarkozy à Villepinte, même avec les ovations en chaîne, n’est pas cru quand il prétend au redressement national par le travail, le contrôle des étrangers, la démocratie par référendum, la justice devant l’impôt, etc.
L’aversion désormais patente des élites a gagné non pas les trente ou quarante mille adhérents et sympathisants de Villepinte, mais les millions de téléspectateurs, malgré le jeu d’acteur de Sarkozy candidat, chevalier blanc, redresseur de torts, un Savonarole laïc, que l’espace d’un après-midi on a cru transformé en Mélanchon de droite.
Ce qui ne s’efface plus, c’est l’évidence de la cupidité des élites. Ce qui ne passe plus, c’est le parasitisme d’un nouveau genre, celui des patrons de haut niveau, des héritiers gavés, de cet argent des riches qui ne sert à rien, qu’à montrer jusqu’à l’absurde des excentricités stériles. Enfin, cette sorte de copinage honteux des têtes de gondole des partis politiques, avec ce parasitisme.
Avant 2008, il était difficile d’employer des mots comme capitalisme, exploitation, banquiers voyous, lutte des classes, de la terminologie marxiste et plus tard communiste, sans oublier la dénonciation des 200 familles et le prêche d’un ordre nouveau, dont personne ne voulut plus après le coup de Prague.
Aujourd’hui, on s’aperçoit que les revendications du passé n’étaient pas si absurdes que cela, qu’il y avait quelque part, une vérité que l’horreur du stalinisme nous empêchait de voir.
La mise-en-scène de Villepinte est une grand’messe déjà vue, sauf que le public déserte les églises. A l’occasion, quand le pape est là, et qu’on mobilise les cars, on ne sait plus que penser devant la masse des fidèles : ils sont encore aussi nombreux que cela ?
Le public écoulé, il ne reste plus que ceux qui replient les chaises dans un bruit de ferraille.