Coupable ou non coupable ?
Il n’y a rien de plus dangereux – mais en même temps rien de plus jubilatoire – que de se faire une opinion qui n’a rien à voir avec celle prémâchée des partis et des journaux. Certes, il faut passer par eux et encore d’autres médias, pour « s’informer » de sorte que, le moment venu, on en restitue ce qui nous détermine.
C’est ainsi que jusqu’à la semaine dernière, je n’avais lu nulle part un article sur la prolifération du métier d’avocat dans les travées du parlement, du sénat et dans les instances des partis politiques. La mainmise de cette profession libérale partout où existe un mandat public n’était-elle qu’une illusion, une exagération de ma part ?
Le silence sur cette question pouvait très bien être fondé sur l’absence de conséquence dans l’organisation de l’Etat. J’aurais cédé à un rejet de cette profession par une méfiance excessive d’une corporation que je n’apprécie pas, un peu comme quelqu’un qui n’aime pas le merlan sans savoir pourquoi.
Comment se fait-il qu’il y ait temps d’avocats en politique ?
Est-ce bien raisonnable d’avoir une démocratie qui fonctionne aux professions du droit, telles les locomotives à vapeur, au charbon ?
Je n’ai pourtant pas rêvé cette prolifération. Elle existe bel et bien. Elle ne doit pas être sans conséquence pour les autres citoyens, comment se fait-il que personne n’en parle ?
Ce n’est pas en Belgique que j’ai trouvé la réponse qui tranche la question, mais en France, dans le numéro 788 de Marianne. Ce pays est si proche de la Wallonie, que l’on peut sans trop de peine transposer chez nous ce qui s’y passe, sans modifier grand chose.
Oui, c’est un réel problème de démocratie participative. Je n’avais pas rêvé.
L’article de Vincent Nouzille commence par un constat « Comptez sur les bancs de l’Assemblée nationale au Sénat et dans les ministères : les avocats tiennent la politique. Jusqu’à Nicolas Sarkozy qui, à peine chassé de l’Elysée, retourne à son cabinet. Si ceux qui nous gouvernent aiment tant porter la petite robe noire, cela n’a rien d’un hasard : c’est ainsi qu’ils financent leur (très confortable) train de vie. Vous avez dit mélange des genres ? ».
Alors qu’aujourd’hui le Soir se concentre sur les 50 kilos perdus du Flamand Bart De Wever, que Lukaku: "Des fois, je me demandais : Qu’est-ce que je fous ici ?" titre la Dernière Heure, et que La Libre propose en pleine page la sommation du CD&V à André Flahaut sur une pénultième explication de ses rapports avec la Flandre, rien, jamais rien sur le malaise en démocratie, non pas sur les problèmes des Régions entre elles, mais des individus entre eux.
En France, comme ici, la liste des premiers couteaux des partis qui tiennent quasiment tout le pouvoir dans leurs mains, sont principalement des avocats.
De Nicolas Sarkozy, à Dominique de Villepin, en passant par l’ancienne Garde des Sceaux, Copé, Baroin, Lefebvre, Mamère, Borloo, tous avocats !
La plupart de ceux qui rejoignent les rangs de la basoche après avoir été ministres ou députés profitent naturellement de leur statut d’avocat pour « vendre » des conseils. Leurs carnets d’adresse qu’ils se sont constitués lorsqu’ils étaient élus sont des mines d’or. Villepin, par exemple, depuis qu’il s’est reconverti dans le métier, s’est fait sur très peu de temps de fabuleux bénéfices. C’est lui-même qui s’est vanté d’avoir les numéros personnels de Poutine, Clinton ou Obama. Belle aubaine pour les sociétés en difficulté.
Selon Marianne, les passerelles entre le monde politique et celui des avocats ne datent pas d’hier. François Mitterrand, ancien avocat, signa lorsqu’il était garde des Sceaux un arrêté permettant aux anciens ministres de revêtir la robe noire sans passer d’examen.
Et en Belgique, quel est le courageux qui va se lancer dans des recherches afin de savoir si les fameuses passerelles en France ne sont pas en Belgique, de petits passages à gué?
Je laisserais à Marianne le soin de conclure :
« La frontière entre les deux mondes, trop poreuse, mériterait d’être murée. La situation actuelle est malsaine. Il faut interdire aux élus de pouvoir, de devenir avocat conseil ou de conseiller pendant leur mandat. Cela contribuerait à moraliser la vie publique ».
Qu’en pense-t-on en Belgique, même si la législation n’est pas la même, n’y aurait-il pas lieu de faire une enquête, de pousser à une certaine réflexion ?
Evidemment comme les ministres se votent eux-mêmes leurs salaires et établissent les règles de leur pension, il serait difficile en Belgique de les voir se pencher aussi sur leur profession.
Pourtant, Di Rupo est un des rares à ne pas être issu du Barreau. Ce serait peut-être l’occasion d’ouvrir le dossier et de plaider – si je puis dire – sans haine ni parti pris, contre un corporatisme prépondérant et envahissant !