Monsieur Bretonneau à Molenbeek
Les principaux invités passèrent d’un plateau à l'autre. Comme ils avaient répété chez les metteurs-en-scène Maroy et Gadisseux de la RTBF, pour le coup Dominique Demoulin eut la cote sur RTL. Tout de suite, la troupe se révéla meilleure, avec la Liégeoise !
Sur la chaîne privée, les répliques étaient mieux construites. Les acteurs avaient approfondi leurs personnages dans le taxi qui les menait à RTL.
Les affiches n’étaient pas tout à fait les mêmes pour les deux théâtres. « L’intégration est-elle un échec ? », pour Domino qui avait choisi la phrase correcte avec point d’interrogation. Les deux ineffables jouaient l’ellipse, figure microstructurale de construction « L’intégration, un échec », dite de « brièveté » en rhétorique ; mais, en plus, conduisant à l’équivoque, car sans ponctuation finale. En effet « L’intégration, un échec ! », n’a pas le même sens que « L’intégration, un échec ? ».
L’essentiel était d’avoir droit aux deux cabots, Reynders et Moureaux, sur les deux chaînes. Le public était là pour ça.
Vous savez comme ça va dans les grandes troupes, on retient deux ou trois grands noms, Rochefort et Marielle ou Reynders et Moureaux. Les autres auront beau s’évertuer et jouer des coudes, à peine a-t-on aperçu quelque part entre deux scènes Evelyne Huytebroeck, excellente comme d’habitude, mais à qui on ne confie pas le grand rôle qu’elle mérite. Il est vrai aussi un peu vieillie, moins sexy depuis un certain temps, avec un soutien-gorge qui ne mettait pas en valeur ses seins, ses meilleurs atouts ; une inconnue, dont nous n’avons retenu que son nom de scène, Audrey Lalou, très convaincante dans la reprise du rôle de Rosetta des Frères Dardenne, mais qui ne nous a pas fait oublier Emilie Dequenne ; un jeune espoir Mousta Largo, en chanteur larmoyant, très juste dans sa tirade-hymne sur l’immigration ; une jeune beauté, Sarah Turine, qu’on souhaiterait voir dans « le soulier de catin » de Paule Chaudelle ; Céline Frémault, en surprenante Mademoiselle Beulemans jouant juste, à la Christiane Lenain ; enfin, Eric De Jonge, un élément d’avenir dans le rôle de l’intellectuel égaré dans une partie de jeu de scrabble du home « Les Myosotis » ; ainsi que quelques autres dont on reparlera, sans doute, à la reprise de septembre.
Les deux vedettes du plateau égales à elles-mêmes ont fait comme d’habitude le spectacle en tirant la couverture, grâce aussi à la mis-en-scène de Domino Demoulin qui leur a laissé les beaux morceaux, dans les longs dialogues.
L’auteur – qui n’était pas présent - est passé à côté du sujet de la pièce qui était, non pas l’intégration, prétexte aux scènes les plus enlevées, mais touchait à la laïcité. Cette manière de faire de la démocratie serait-elle à ce point décriée par les spectateurs, que le dramaturge s’est permis de faire un théâtre qui l’ignorait complètement ? Est-ce que, oui ou non, la laïcité est la seule voie possible et passe bien avant les religions, leurs rites, leurs fidèles, leurs simagrées ?
Et c’est là qu’on voit que cette pièce qui aurait pu être shakespearienne, s’est tout à fait inscrite dans les pièces de Boulevard, chères à de Flers et Cavaillet. Philippe Moureaux, dans le rôle de Bretonneau à Etampes, n’a pas résisté au plaisir de transposer l’action à Molenbeek.
On comprend pourquoi la laïcité n’est plus inscrite au haut de l’affiche, les spectateurs-électeurs sont plus souvent croyants que laïcs et ne comprendraient pas que l’on fît passer Françoise Champion (1) devant Jéhovah ou Allah.
Juste encore une critique, Didier Reynders a trop tendance à regarder le public – en l’occurrence la caméra lorsque celle-ci passe sur son visage - quand un autre comédien donne sa réplique. Il exprime alors tout ce qu’il croit faire passer à la postérité, sourire goguenard, hochement de tête, approbation, soupir et négation résignée. C’est du mauvais copinage de nature à décrédibiliser les autres comédiens.
Quant à Philippe Moureaux, est-ce l’âge venant ?... Il s’est pris la langue dans une tirade en répétant plusieurs fois « cultures ensembles, mixité sociale ». On était peiné pour lui, il avait perdu en route le texte de l’auteur !
On se mettait à la place de la pauvre Latifa Benaicha, sa jeune épouse, à l’écoute de RTL, le voyant perdre pied, dans ce duel entre artistes, et risquer dans son désarroi de femme aimante, de lâcher la tajine et de briser, par la même occasion, la mixité sociale de leur ménage avec la terre cuite !
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1. Françoise Champion, « La laïcité n’est plus ce qu’elle était », texte intégral sur la Toile.