Le bouc émissaire.
Un politicien qui devient une star, c’est-à-dire, un personnage incontournable se doit de trouver des boucs émissaires en cas d’échec, afin que son image ne soit pas ternie dans l’opinion. Certains appellent ce genre de personnes, des fusibles.
C’est valable dans tous les pays à « démocratie modérée » comme la Belgique.
Qu’est-ce qu’une démocratie modérée ?
C’est un système dirigé par les stars des partis selon des règles qui échappent à la démocratie.
Les stars ne représentent pas les citoyens, mais l’idée qu’ils se font du citoyen. Les classes sociales ne sont pas présentes parmi les chefs des partis. Ils constituent une « élite » généralement issue de la corporation des avocats et des licenciés en économie politique. C’est ainsi qu’au PS il n’y a aucun ouvrier, ni employé de cadre inférieur parmi les stars. Il doit en être de même au MR et au CDH.
Lorsqu’un mandat essentiel est perdu, par exemple la présidence de la République en France ou l’emploi de premier ministre en Belgique, il y a nettement un désaveu de l’opinion puisqu’il y a une défaite par les urnes.
C’est alors qu’interviennent les instances dirigeantes pour en imputer la faute à un parti extrémiste ou, en interne, à un bouc émissaire. On n’attribuera jamais la faute à la personne défaite, vu qu’elle est un pion essentiel dans la politique du parti. Vous voyez d’ici une accusation de Laurette Onkelinx à l’encontre de son chef de file chéri, si celui-ci, à l’issue d’une remise en question de sa gestion, était forcé à la démission ?
En Belgique le Vlaams Belang joua longtemps le rôle d’épouvantail pour céder la fonction à la N-VA.
Le temps que la star se refasse une santé dans l’ombre, elle réapparaît blanchie de tout soupçon et lavée de sa défaite, tôt ou tard. Parfois son innocence peut prendre quelques années à se construire.
Cet exemple souffre exception. Yves Leterme, pour avoir assuré plus d’une année d’intérim avant le gouvernement Di Rupo, s’est lavé du péché d’incompétence et de gaffeur impénitent. Devenu haut fonctionnaire d’une Institution internationale à Paris, il pourrait revenir en Belgique occuper des fonctions importantes, sans aucun a priori.
Guy Verhofstadt est responsable d’avoir mis au frigo les rapports entre les communautés, ce qui les a envenimés au point qu’on est passé à deux doigts d’une catastrophe. Ce grand responsable des désastres s’en est toujours bien tiré, au point qu’il joue à l’Europe un rôle éminent et que personne n’a aucun doute sur son « immense talent ». Bel exemple d’une star qui l’est resté sans avoir besoin d’un bouc émissaire.
La complication extrême de certaines périodes exceptionnelles joue évidemment le rôle important d’une situation propre à « noyer le poisson ». La Belgique est à la pointe de cet exercice. Jean-Luc Dehaene si néfaste en tout, qu’il ait été premier ministre ou à la tête d’une banque, est toujours crédité d’un savoir-faire « hors du commun ».
En France, l’UMP a trouvé le bouc émissaire idéal pour se consoler de la défaite cuisante et totale des deux dernières élections et pour éventuellement atténuer celle, plus personnelle de Nicolas Sarkozy.
Dans le cas de ce dernier, tout dépendra des suites judiciaires de certaines instructions en cours et de la manière, plus ou moins habile, de la politique qu’il va mener pour que l’opinion le juge innocent. A défaut, coupable mais victime des juges, n’est pas mal non plus pour se refaire une virginité.
Le bouc émissaire de l’UMP est Patrick Buisson, aujourd’hui l’objet de critiques virulentes. Plusieurs ténors de l’UMP, dont Jean-Pierre Raffarin, François Baroin, Roselyne Bachelot et Nathalie Kosciusko-Morizet accusent l’ancien journaliste d’extrême droite d’être à l’origine de la «dérive droitière» qui aurait mené l’UMP à la défaite.
Les âmes noires en Belgique sont celles qui ont fait tomber le Conseil communal socialiste de Charleroi, par le passé, Alain Van der Biest a joué ce rôle dans l’affaire Cools, lui-même accompagné d’une « âme noire » de seconde zone, l’ancien policier Taxquet. Que cette sous- âme noire soit innocentée un jour, ce serait une catastrophe pour la commune de Grâce-Hollogne que devrait lui payer des indemnités depuis sa mise à pied d’agent de police de la commune, il y a une vingtaine d’années !
Parfois, certaines âmes noires ne sont que des « âmes grises ». Marie Aréna, ministre dispendieuse est de celles-là. Décrétée « non ministrable » par le bureau du PS, mais sénatrice quand même, elle n’est pas tout à fait hors-circuit. On la garde sous le boisseau pour qu’elle resserve plus tard. Le sénat est la planque idéale pour beaucoup de fusibles. De toute manière, la plupart des fusibles sont des fonctionnaires en disponibilité, au pire, ils retrouveraient la planque au chaud d’un bureau à l’Administration, en cas de malheur.
Pour la France, le système est identique. On peut se référer à Jean Garrigues, auteur du livre « Les hommes providentiels. Figurent notamment sur la liste de l’historien, Pierre Juillet et Marie-France Garaud, conseillers officieux du président Georges Pompidou, «libres car sans responsabilités officielles dans un parti ou dans l’organigramme de l’Elysée, puissants dans leur influence sur le chef de l’Etat».
En général, les boucs émissaires parlent peu, essaient de se faire oublier, espèrent que leur silence sera récompensé. C’est le cas de Patrice De Maistre, l'ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt qui vient d’être libéré après trois mois de préventive et qui n’a pas lâché ce qu’on attendait de lui, à savoir : avouer avoir servi d’intermédiaire entre Liliane Bettencourt et Eric Woerth, pour le financement de la campagne de Sarkozy en 2007. Les boucs émissaires ne sont pas toujours recrutés dans le cercle étroit des bénéficiaires des mandats publics en démocratie. Lorsqu’ils sont issus de la société ordinaire, les partis s’arrangent afin de récompenser leur silence par d’autres voies que politiques.
En Belgique, il ne faudra pas attendre trois mois après les élections communales pour que se dessine l’échec de la politique sociale du PS au gouvernement et pour désigner les boucs émissaires.
Actuellement, le rôle est tenu par des événements, comme la crise, et des emblèmes, comme l’Europe et l’euro.
Demain qui sait ? Di Rupo est si versatile, si Italien dans le fond de son caractère, si diplomate aussi, qu’il est insubmersible au PS.