« Un carnage subventionné ! | Accueil | Miet, 69 ans, année érotique. »

Une honnête débauche.

Lorsque Monsieur repris la Maison Tellier à Bruxelles, il avait plus de soixante ans. C’était un Italien élégant, l’air androgyne, qui se teignait les cheveux parce qu’il était coquet et aimait plaire à droite comme à gauche, entendez par là aux hommes, comme aux femmes.
Les infirmités de l’âge lui étaient tombées dessus prématurément. Il s’efforçait de les faire oublier par un abord aimable, lisant sur les lèvres et devinant le reste à qui parlait bas.
La Maison Tellier avait été jadis une affaire florissante. Délaissée par une certaine partie de la clientèle, sous prétexte que les filles étaient presque toutes francophones, la Maison avait été laissée à l’abandon pendant plus de cinq cents jours, si bien que lorsque Monsieur s’y installa, il dut aérer les chambres, enlever, des toiles de matelas, les cartes de géographie, dont les plus impressionnantes représentaient l’Afrique noire en relief !
Les allégories pour Cythère qui pendaient dans l’escalier furent dépendues et remplacées par des posters de stars du hard. Les graffitis obscènes des toilettes firent de la résistance. Madame dut se résigner à en garder quelques-uns, heureusement au garde-à-vous. Ce qui est une bonne chose, pour la réputation de la maison.
Madame avait été ancienne pensionnaire. Ça se sentait dans la fidélité inébranlable qu’elle vouait à Monsieur. Pour le reste, elle avait l’allure et le maintien qu’il convenait dans une Maison bien tenue. Là-dessus, Monsieur était intransigeant. Une compatriote de Monsieur, de trente ans sa cadette, en avait fait l’expérience. Elle avait pris la porte en raison de ses caprices dispendieux : des factures d’un mobilier de bureau. Au point que Monsieur, lui avait fait remarquer qu’un coin de table, encombré d’objets divers, était malcommode pour une entreprise, comme l’était la maison Tellier, pourquoi pas l’évier, tant qu’elle y était ?
Madame avait un âge qui commençait à la faire passer pour non commerçable. C’est-à-dire qu’elle atteignait les cinquante-cinq ans. Les deux cinq étaient l’âge couperet. Toutes les filles le savent : si vous n’avez pas réussi à mettre le grappin sur un riche ou quelqu’un de bien à cet âge là, c’est l’absinthe, la déchéance et l’abattage au kilomètre des jeunes nigérians qui refluent vers nos contrées, chassés par Allah. Désargentés, ils sont peu regardants ; mais, jeunes et vifs, ils sont, pour l’épouse aléatoire, des pratiques fatigantes.
Aussi, Madame tenait-elle à Monsieur. Certes, celui-ci n’était ni riche, ni honnête, mais il offrait le couvert à Madame, la tenait informée des mouvements du personnel et surtout lui savait gré de ne pas ébruiter le secret de sa sexualité, qu’il croyait être ignorée par tout le monde, mais que, cependant, tout le monde connaissait.
Madame passait ses journées à s’oindre de crème rajeunissante, à minauder et faire la coquette. Elle ne parlait jamais de ses expériences exotiques ; cependant tout le monde savait qu’elle avait fait bayadère dans un souk très mal fréquenté. Monsieur la gardait, parce qu’elle était facile à vivre, qu’elle lui donnait toujours raison, ce qui est appréciable pour un homme, et surtout, parce qu’elle usait jusqu’à la corde une importante garde-robe que les filles de passages avaient enrichie, au fil du temps, de leurs surplus.
On la voyait tenant la caisse avec les plumes des cocottes du temps passé. Monsieur trouvait cela chic et n’était pas fâché que l’on crut la vraie Maison Tellier à Bruxelles, alors que Maupassant s’était obstiné de la mettre à Fécamp.
La clientèle rugueuse et politisée des Polders s’étant abstraite volontairement des passes de l’après Anderlecht-Standard, il vint à l’esprit de Monsieur de vouloir attirer les familles chrétiennes dans son établissement. La libérale y dépensait déjà beaucoup à grands renforts de cris et de citations d’Alexis de Tocqueville, celle des bons apôtres ne pouvait qu’y recommander l’amour du prochain.
Il délégua Madame à la délicate mission de convaincre une célèbre gagneuse qui s’était fait la spécialité de courir les messes basses pour y proposer ses bons offices, à la condition qu’elle abandonnât la manie de sucer dans la sacristie, pour reprendre du service sur le prie-Dieu de la Maison Tellier, meuble plus confortable pour la génuflexion.

376_d0.jpg

Secrètement, Madame était jalouse. Elle n’ignorait pas que, de ce côté-là, Monsieur avait eu l’aiguillette nouée dans un passé lointain, quand il gardait les oies : mais, s’il n’était gaillard qu’en paroles, le petit succès qu’il en tirait, la gendarmait contre les concurrentes.
La nouvelle tint le rôle de veuve, en jupe longue et noire, qu’elle pût dégrafer grâce à l’autorisation de Monsieur. L’orange était sa couleur favorite, très fardée et les yeux dans le beurre, sous la voilette, elle ne faisait pas son âge.
De loin, elle ressemblait à la photo retouchée qu’on avait d’elle dans Soir Magazine.
Elle partagea bientôt les faveurs de Monsieur. Madame dût s’en accommoder.
La chose en serait restée là, si la veuve n’avait eu le désir secret de faire baptiser Monsieur, dans les rites de l’apostolique et romaine église de son cœur.
On fit venir le curé de San Valentino et la cérémonie se fit dans le salon où attendent d’habitude ces dames, avant l’épreuve de l’escalier. Un ancien habitué, qui tenait le rôle d’enfant de chœur, ne put s’empêcher de s’écrier « ces dames sont au salon » juste avant l’aspersion du converti.
La clientèle anversoise ne revint pas. Les docks boudèrent de plus belle la Maison Tellier, mais Monsieur sut adroitement s’acagnarder avec des anciens habitués, si bien que la Maison se releva de ses ruines, pour aboutir au final, dans ce que Madame Laruelle appelle une petite entreprise en préactivité réussie.
Monsieur, parfait apolitique, avait su concilier le socialiste braillard et républicain avec le libéral rondouillard et véreux, dans la paix retrouvée et la confiance du roi, grâce à l’emboîtement des reliefs, dans les creux.

Poster un commentaire