Election, piège à cons.
Sartre a écrit dans « La Revue des Temps modernes », n° 318, janvier 1973, un article intitulé « Election piège à cons », expliquant que le vote « dissout » le pouvoir du peuple. Certains font remonter le slogan à mai 68. Peu importe, c’est une affirmation qui reste d’actualité, un peu parce que ce piège à cons va se refermer sur nous, une fois de plus, le 14 octobre 2012, sans que nous n’ayons jamais franchement abordé la question en Belgique.
Les événements se précipitent déterminant l’opinion à de rapides voltefaces, si bien que le débat reste ouvert, c’est ni plus ni moins la survie d’une organisation sociale rassemblée dans ses diversités sous la dénomination de « démocratie » dont il est question.
Le plus cher des penseurs aux yeux des libéraux, Alexis de Tocqueville, ouvre le bal des inquiets par un doute supérieur : « Ceux qui regardent le vote universel comme une garantie de la bonté des choix se font une illusion complète ». La marche en quinconce des régimes dits « représentatifs » conduit toute personne sensée à penser, avec Alexis de Tocqueville.
Qu’allons-nous donc faire comme acte citoyen le 14 ? J’en suis encore à me le demander.
Sinon que nous y sommes contraints par une loi qui paraît contestable dans la mesure où le droit des abstentionnistes est bafoué, puisqu’ils ont l’obligation de se présenter quand même pour participer à un choix, qu’ils ne souhaitent pas faire.
C’est là que se complique « élection piège à cons » par ceux qui sont d’accord sur la réalité du piège.
Deux tendances :
A. La première, fataliste, prétend que les jeux sont faits à l’avance puisque ce sont toujours les mêmes qui émergent à coup sûr à chaque élection. Et si l’on excepte les quelques modifications qui s’opèrent en général dans le bas des listes, l’électeur à l’impression de voter pour rien. Les majorités sont stables, les avocats des premiers rangs sont bien en place et ont l’intention d’y rester.
Cependant le pouvoir ne reflète pas l’instabilité de la situation ressentie ; et c’est ce qui inquiète, le pouvoir n’étant plus en phase non pas avec la majorité politique, mais avec la majorité des gens, ce qui est loin d’être la même chose.
B. La seconde, ayant fait le constat de la première, assorti son opinion de « tous pourris » ou « tous corrompus », ce qui est évidemment faux et pourrait être remplacé par un autre slogan qui ferait l’unanimité « tous intéressés » reste à savoir si c’est par le fric ou le bien public, probablement les deux pour la plupart des postulants.
A l’évidence les électeurs rendus prudents, voire peureux, par un effet de propagande commun à la droite comme à la gauche, peuvent se tromper en votant invariablement « modéré ». Et, par voie de conséquence, mal voter… Dans la conjoncture présente, on aurait plutôt besoin de défonceurs de portes, plutôt que de laquais-concierges.
Or, le spectacle de nos avocats à leurs plaidoiries, les range dans la catégorie des domestiques du pouvoir des riches.
Les héritiers du fascisme et du national-socialisme relèvent la tête en Europe… Il semble, qu’une fois encore, le suffrage universel pourrait déconner comme en 1933 faisant d’un nouvel Adolphe un faux sauveur de l’Europe.
Partout, ou presque, des gouvernements ne répugnent pas à passer des alliances avec l’extrême droite, voire à quémander son appui (Danemark, Hongrie). On verra bien en Flandre ce que les partis feront si la N-VA gagne encore des positions, devenant un parti largement dominant.
« Bref, un problème peut désormais légitimement agiter nos neurones : les campagnes électorales, les bonnes intentions et les scrutins à venir suffiront-ils pour éviter à ceux qui militent à gauche, en ce XXIe siècle commençant, de finir dans des camps (ancien style) ou dans des stades (à la chilienne) ? » se demande Jean Salem (1)
Selon l’opinion générale et qui n’est pas partagée par les socialistes ( !), le capitalisme aurait un gros problème : il est allé trop loin. Autrement dit, il pourrait partir en « couilles ».
Alors, les élections, les votes « utiles », comme les renoncements d’établir une justice pour tous du genre « Mittal a toujours raison, parce que c’est lui qui a le pognon » ne seront plus des remparts appropriés, et ce sera le sauve-qui-peut général, les avocats en tête.
« Il s'agit de pratiquer le droit d'inventaire dans un corpus foisonnant et contradictoire : l'individualisme de Stirner ou le collectivisme de Kropotkine ? Le pragmatisme de Proudhon ou l'utopie débridée de Fourier ? La pruderie de Sébastien Faure ou le libertinage généralisé d'Emile Armand ? Le millénarisme de Godwin ou le municipalisme de Bocklin ? La violence de Ravachol ou le pacifisme de Reclus ?" s’interroge Onfray.
Loin de prétendre à rien de cela par excès de prudence et d’ignorance volontaire, l’électeur wallon va participer le 14 à un coup pour rien, en retenant son souffle quant au résultat flamand pour un mauvais coup.
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(1) Jean Salem, fils du communiste orthodoxe Henri Alleg, s’inscrit dans la lignée familiale. Il est l’auteur d’une défense et illustration de Lénine (Lénine et la révolution, Paris, Encre marine, 2006) et a recueilli les propos de Jeannette Versmeersch, déclarant notamment que Staline avait certes commis des erreurs, mais bien conduit l’URSS. (La vie en rouge, Paris, Lattès, 1998).