Un homme exemplaire.
Il n’y a pas que des salauds – peut-être même est-ce le sentiment général que j’ai pu communiquer aux lecteurs. Mettons-le sur le compte de la maladresse. Au contraire, je pense qu’il existe des être extraordinaires qui pensent aux autres et qui font de leur vie, non pas un évangile, mais quelque chose de bien qu’ils ne définissent pas comme un combat, ni un modèle, mais comme une simple vie bien remplie.
André Gorz (1923-2007) est de ceux-là.
Sur le tard, il a le physique de Léautaud, quand vieil homme surpris par le photographe, il nous est resté en noir et blanc, nourrissant des chats contre une palissade du Paris d’avant-guerre.
André Gorz et sa femme se sont donné la mort en septembre 2007, lui à 84 ans et elle à 83, dans un admirable geste d’amour partagé, Dorine souffrant d’une maladie dégénérative.
Mais ce n’est pas en qualité du stoïcien en fin de vie que Gorz m’intéresse, même si sa fin est à citer en exemple à bien des égards, c’est son œuvre ou, l’économie et la philosophie font bon ménage.
Le siècle passé arrivé dans sa moitié déclinante, Gorz fréquente les milieux sartriens et fait sienne une approche existentialiste du marxisme. C’est une école qui lui permet d’élargir une réflexion sur les questions d’aliénation et de libération. Cela va donner une œuvre sensible et prémonitoire de l’état du capitalisme aujourd’hui. C’est ainsi qu’il analyse des systèmes sociaux du point de vue du vécu individuel, dont nos « sages » qui se disent de gauche, feraient bien de s’inspirer pour prendre les décisions.
Un peu avant sa mort, il avait parrainé une réflexion collective sur un fait qui, cinq années plus tard, s’est avéré exact et dont le titre est une affirmation : « La sortie du capitalisme a déjà commencé ».
Il insiste sur la crise (en 2007 !) et la fin d'une rationalité économique qui provoquaient déjà la cassure verticale des classes sociales, laissant à nu de nouvelles élites émergentes hyper productives, seules aptes à s’adapter avec profit des crises.
Sa démonstration souligne que l’erreur d’une social-démocratie niant l’effet de classe, allait permettre l’éclosion d’une nouvelle classe préjudiciable aux plus défavorisées.
Gorz démontre aussi que la généralisation des outils informatiques, devient la forme hégémonique du travail et le respirateur artificiel de la création de valeur.
L’intérêt pour les économistes de valeur aura été d'étudier les conditions auxquelles une société peut reprendre le contrôle de l'économie.
Son livre, « Adieux au prolétariat" (1980), ouvre une réflexion féconde, puisqu’il annonce la fin du travail industriel dans les sociétés capitalistes.
De la tournure que prendront les luttes futures dépend la forme civilisée ou barbare que prendra le capitalisme dans sa fin ou ses métamorphoses. La marchandisation de richesses premières - la terre, les semences, le génome, les biens culturels, les savoirs et compétences communs, constitutifs de la culture du quotidien, sont les préalables de l’existence d’une société.
L’extraction des houilles, des gaz, du pétrole, bientôt des schistes fragmentés et dissous dans des produits chimiques procède de la même « animalité » commune de l’homme aux grands prédateurs, jusqu’aux vers à bois destructeur de forêts.
Tant que l’homme détruira en fonction du profit, plutôt que de ses besoins, un environnement naturel et ce de façon irréversible et sans aucun scrupule pour les générations futures, ce qui permet d’étendre son hégémonie sur le monde, le capitalisme sera la chose première à combattre et à détruire.
L’extinction du marché et du salariat par l’essor de l’autoproduction, de la mise en commun et de la gratuité, sera l’objectif premier d’une survie non autodestructrice.
En absence d’une forte pensée à gauche dans ce sens, le capitalisme poursuit sa course folle et ne sera arrêté que par l’absurdité de ses objectifs, l’impossibilité de les réaliser et finalement son autodestruction par son incapacité à se réformer.
Telles sont les conclusions auxquelles le lecteur aboutit qui découvre Gorz.
Commentaires
Judicieux article, Richard!
Postée le: michel | décembre 14, 2012 12:40 AM