L’informe information.
On ne dira jamais assez le malheur d’être pigiste. C’est « Marianne Belgique » qui l’écrit. Et on le croit bien volontiers. L’instabilité, le harcèlement, l’incertitude du lendemain ne sont rien à côté de l’obligation d’être multifonctions, sans état d’âme et finalement asexué comme un premier ministre.
Les journaux d’opinion ayant disparu, c’est la défense d’idées parfois très opposées qui disparaît et donc la fin d’une confrontation qui faisait l’intérêt de la presse, quand elle était d’opinion.
Qu’on ne s’y trompe pas, l’opinion n’a pas disparu dans la tête des gens. Elle est restée aussi diverse, mais elle n’a plus droit d’être imprimée. Elle est remplacée par une vision politico-économique quasiment invariable dite « normale », conforme à une société conservatrice, sous de faux airs progressistes. Qui veut un emploi dans de pareilles conditions, doit impérativement adopter l’opinion unique.
Les opinions qui faisaient les débats ont cédé la place à l’Opinion.
Et dire qu’on demande un master aux impétrants pour seulement avoir le droit d’espérer une pige. Viennent ensuite des concours stupides à l’image des dirigeants, si on souhaite obtenir un contrat de travail un peu meilleur que ceux d’un jour, d’une semaine, voire plus, et renouvelables selon les besoins et selon la loi du bon plaisir.
Il y a sans doute parmi ceux qui, de bonne foi, veulent un jour exercer cette profession, des jeunes de talent, qui s’assèchent aussi vite qu’ils ont compris, qu’entre ce qu’on leur dit à l’université et la réalité du terrain, il y a un monde de différence.
Je suis tombé par hasard sur les examens 2012 de la RTBF, pour devenir pigistes dans cette vénérable institution.
C’est un ramassis de questions d’actualités et de connaissances, un quizz de baraque de foire, un jeu des mille euros même pas intelligent.
On en sort avec le sentiment de l’inutilité d’un pareil concours et on se prend à penser que ceux qui imaginent les questionnaires doivent avoir une piètre idée des qualités que devrait avoir un journaliste.
On pourrait, à la rigueur, soumettre à un vrai test des connaissances du monde, des techniques d’information et des brassages d’idées tout le staff des beaux étages de la RTBF, il serait probablement recalé, Philippot et Jacquemin en tête.
On sait à présent pourquoi les gens préfèrent le NET, boudent les infos et en ont assez de l’esprit « maison » Reyers.
La RTBF veut des journalistes qui n’ont aucun caractère, aucune imagination et aucun sens critique. Des ectoplasmes retranscrivant sans trop de fautes balfroisiennes, les consignes d’une civilisation « incomparable », destinée aux plus formidables progrès, grâce au capitalisme triomphant, pouvant donner la liste des présidents des Etats-Unis et citer les dates de l’entrée en guerre des différents pays ayant été impliqués dans la deuxième guerre mondiale.
C’est fait. Les directions ont tout cela à portée.
Reste à se demander pourquoi les gazettes ne se vendent plus, les radios s’époumonent en vain et les infos de la télévision belge – officielle et commerciale - sont désertées par la clientèle ?
Il ne faut pas imputer tout à la crise, à la révolution de la Toile, au progrès de l’illettrisme et de la bêtise. La lourdeur belge bien connue n’y est pas trop responsable non plus.
Il doit bien y avoir quelque part un vice caché qui occulte les talents et tue les espoirs des jeunes recrues pour un métier considéré jadis comme « prestigieux » pour certains et donnant bien des satisfactions pour le reste.
Enfin, vice caché, pas tellement…
Tous les dimanches à midi je me dis devant le défilé incroyable des notables qui font les informations et les pachas qui élaborent les sujets, c’est ça l’élite ? C’est ça qu’on fait de mieux dans le social, le politique et l’économique ?
Je n’en veux même plus à Maroy, Gadisseux et Demoulin. J’irai jusqu’à écrire que le métier qu’ils font est devenu impossible. Certes, ils ne se rebellent pas contre le conformisme des invités qu’on leur confie. Leurs directions portent une grosse part de responsabilités en confondant propagande et information. Mais, quand bien même feraient-ils des efforts originaux, choisiraient-ils eux-mêmes les plateaux, il y a un tel poids d’embourgeoisement de ce petit monde de l’info, qu’il est impossible de secouer la poussière, sans se retrouver mal noté, voire sans emploi. Voilà trente ans que ce métier perd en capacité d’emplois. Quand La Meuse a plié boutique au Boulevard de la Sauvenière, pour devenir un sous-produit du groupe Rossel, une bonne cinquantaine de journalistes ont perdu leur emploi. Presque personne n’a retrouvé du travail. C’est dire, quand on entre dans le métier, comme on serre les fesses pour y rester !
Les pigistes devraient relever la tête, quand les rédacteurs en chef, les propriétaires et les fondés de pouvoir ne sont que de monstrueuses merdes. Comment faire autrement que reproduire ce qu’ils voient ? Comment le pourraient-ils, puisqu’ils sont sans modèle ?