Consommé de patriotes.
Que le métier est difficile pour les bavards suspendus aux micros et qui gagnent leur vie en utilisations intensives de « formidable », « émotion », « enthousiasme », etc. Sur nos chaînes, on se serait cru chez Drucker.
L’escorte motorisée pétarade.
On est parti pour une journée historique.
Sacha Daout, de la RTBF, empêche les spectateurs de photographier des grands personnages par le seul fait de sa présence. C’est un comble. Le voilà passé désinformateur de la télé nationale !
Au poids, toutes les médailles qui défilent feraient bien la tonne. On se passe le mot : faire gaffe aux ferrailleurs.
C’est le grand rendez-vous des dignitaires et des foules, en une sorte de fusion dans laquelle on peut observer que les premiers sont toujours mieux assis que les secondes.
Louis Michel au micro d’une charmante a beaucoup maigri. Hélas ! le nez n’a pas suivi. Si bien qu’il paraît énorme, alors qu’il n’est pas pire qu’avant.
Aux signatures des illustres, Alexandre De Croo fait tellement jeune qu’on dirait le fils de l’huissier qui crie « de Koning, le Roi ». Ce culot, il signe quand même et personne ne lui dit qu’il n’a rien à faire là. Il est vrai qu’on a aussi laissé entrer Maingain.
A l’intérieur des édifices on s’affère, et pas que pour l’amour propre. On a pris les poussières avec soin du siège dit du trône qui dormait depuis vingt ans dans un placard du Parlement. Je jurerais que c’est celui de mon enfance quand j’allais voir Saint-Nicolas au Grand Bazar. Ils l’ont peut-être racheté à la faillite ? Le trône est doré sur feuille avec des fines lamelles. De quoi ? Personne ne le saura jamais, Gadisseu n’en dira pas plus.
Les briscards et les briscardes sont en grande toilette, sauf un malotru flamand qui a oublié volontairement sa cravate. Comme il est le seul, on pense que c’est un oubli et pas un signe de ralliement. On se rassure. On remet les serviettes de téflon pare-balles dans les armoires.
L’hémicycle est bien rempli et coloré susurre Nathalie Maleux, qui est boulevard Reyers et qui n’en sait pas plus que ce qu’elle voit en images de retour.
Le velours est rouge tirant sur le violet, comme le nœud papillon du premier ministre qui a dû l’assortir par instinct et flatterie. Les visages recueillis seront aussi assortis pour la circonstance, de ce rouge cramoisi qui va bien à toute cette société en surpoids et proche de l’apoplexie.
C’est une plaisanterie ? Non, c’est un sacre.
Gérard Deprez est impérial.
On jurerait que c’est lui qu’on sacre. On se dit « ce n’est pas possible, il a plus que 53 ans ! », puis on voit Philippe qui attend dans la coulisse pour faire son entrée et tenir son rôle. C’est lui qui a le sabre, Deprez n’a rien que lui-même ce qui est déjà beaucoup. On le cherche dans la foule. On ne le voit plus. Voilà encore un faux putschiste.
Toutes les grandes familles nobles sont représentées, certaines ont même placé des parents dans la haute magistrature (noblesse de robe) et dans la politique (noblesse de cour).
Le grand chambellan a oublié d’envoyer un carton à la famille de Sélys-Longchamp. Il est vrai que celle-ci avait, auparavant, cité à comparaître le monarque sortant.
L’article 85 de la Constitution « met fin-t-à son règne » dit le président de la chambre, André Flahaut, comme on s’inquiétait de la disparition des Sélys-Longchamp du gotha présent. Au moins lui, sa fatale liaison sera passée inaperçue.
Sybille méritait au moins un strapontin au deuxième balcon.
Le plus réjoui des invités fut sans conteste le baron Delpérée. Il couvait Philippe du regard. Aurait-il, lui aussi, un lien de parenté avec la famille ?
Au départ d’Albert, il tenait la main du retraité avec tellement de force que l’autre ne pouvait s’échapper. On voyait les lèvres de Francis s’agiter avec rapidité. Il avait choisi son moment pour lui réciter une fable de La Fontaine. Enfin, Albert se dégage, tandis que l’autre poursuit son discours. Le démissionnaire a dû serrer hâtivement quelques mains pour s’éloigner du baron, on le sentait poursuivi par l’intarissable bavard.
Une telle insistance n’a qu’une hypothèse. Delpérée doit une certaine somme à Albert qu’il ne peut rembourser tout de suite ?
On a quand même assisté à une scène de l’Ancien Régime : Fabiola est arrivée en chaise à porteurs. Seule touche de modernité, on a mis des roulettes à la chaise, par économie aussi : il n’y avait qu’un porteur !
Soudain un huissier s’écrie « Ces dames sont au salon ». Il avait confondu avec le règne de Léopold II !
La journée ne pouvait s’achever que par un musette. Les Illustres sont allés guincher aux Marolles. A ce petit jeu, les julots ont fait tourner leurs rombières. Delpérée était déjà rentré chez lui la tête pleine de souvenirs, un peu gris et le drapeau à la boutonnière.