L’Affaire royale bis.
La récente décision d’Albert II de rendre son tablier n’a surpris personne.
Reste qu’elle révèle une étrange disposition des partis de laisser leurs têtes de gondole divaguer sur ce que cette abdication suppose.
Autrement dit, sans consultation populaire, sans préalable ni concertation, la démocratie belge ressemble une fois de plus à un ballon de rugby que seuls les grandes vedettes manipulent sans s’inquiéter à la fois du public et des règles du jeu.
Que va-t-on faire de Philippe ? Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir lui retirer pour satisfaire les spécialistes du placage au sol que sont Reynders, Michel, Di Rupo, Beke, et même De Wever ?
Et l’électeur dans tout cela ?
Un gouvernement a un programme déterminé par ce qui ressort des palabres entre partis, ce qui, entre parenthèse, éloigne déjà les partis des électeurs. Mais si, en plus, les têtes de gondole se mettent à divaguer sans qu’on leur demande et sans l’onction populaire, autant dire que sur des sujets pareils, autant se passer dorénavant d’élections.
Le plus singulier d’entre ces coupeurs de cheveux en quatre est encore le baron Delpérée. Prévenant l’intention des autres d’attirer Philippe dans une monarchie protocolaire, comme dans un guet-apens, notre constitutionnaliste exacerbé entre en effet dans la course entre tête de gondole et, de ce fait, attire davantage l’attention des foules sur le caractère léger des préoccupations de ces Messieurs, alors que – le savent-ils seulement ? – la crise bat son plein de chômages, de ruine et de misère généralisée, dans ce pays.
La semaine dernière encore Di Rupo et Chastel riaient à gorge déployée aux interviews sur le budget, dans une autosatisfaction pénible pour ceux qui sentiraient passer l’addition.
Aujourd’hui, changement de décors. Les gazettes nous préviennent que « les premiers clivages sont apparus ». Les « jenairienacacher » se réjouissaient quand même de ce que l’on discute des nouvelles restrictions qu’ils subiraient, la sottise ayant la limite du portemonnaie vide, et les voilà pour la première fois interloqués.
Les clivages sont apparus non pas sur la cherté de la vie et les embarras dus au manque d’emploi, mais sur la volonté de l'Open Vld et de Groen d'ouvrir à révision dès la fin de la législature, les articles de la Constitution relatifs au rôle du souverain. Au MR aussi, même son de cloche : le vieux Michel est pour ci et Didjé Reynders est pour ça. Il importe de découpler la fonction royale du processus politique, profère la cheffe de groupe libérale, Martine Taelman, pas en reste, Freya Piryns estime que la sanction royale ou la nomination des ministres par le Roi « n'étaient plus de notre temps ». Dirk Claes du CD&V rappelle le passage du discours royal évoquant l'évolution de la monarchie. Le sp.a, par la voix de Bert Anciaux est pour qu’on en débatte.
Le vieux baron Delpérée rêve d’un temps où devant ces factieux, il mettra un genou en terre et offrira son épée au roi. Aussitôt, celui-ci armera ses vassaux et lancera ses chevaux caparaçonnés dans une nouvelle bataille des éperons d’or, son baron gonfalonier en tête, afin de venger l’outrage de la précédente et défaire définitivement les manants des guildes de De Wever !
Cette inconscience de nos élites est-elle volontaire ? Sinon, sont-ils bêtes de nous parler de la monarchie au moment crucial où l’économie capitaliste nous assassine ?
Tant de titres, tant de manchettes, tant de bruits sur ce qui pourrait devenir une nouvelle affaire royale et rien sur les préoccupations actuelles des gens, sur le devenir des relations entre l’homme et le travail, sur la répartition entre le capital et le travail, sur les dépenses inutiles de l’État, sur son coût… Autant dire que ce silence est un aveu. Ils nous ont abandonné à notre sort et ils s’intéressent d’un commun accord à autre chose.
Et on voudrait que je sois sérieux !
Cela me fait irrésistiblement penser à l’avant-dernière scène de l’acte V du Don Juan de Molière.
Tandis que Don Juan, tout à ses grandes phrases défie la statue du Commandeur et finit par y perdre la vie, son valet, dorénavant seul à la fin de l’acte, s’écrie scène VII :
« Ah ! mes gages ! mes gages ! Voilà, par sa mort un chacun satisfait, lois violées, femmes séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content ; il n’y a que moi seul de malheureux.
Mes gages, mes gages, mes gages ! »
Ces beaux Messieurs de Bois Doré, dirait une grande romancière, George Sand en l’occurrence, feraient bien d’aller plus souvent au théâtre !