Le retour du corbeau !
On savait le Belge enclin à la fraude et à l’envie. Depuis la guerre de 40, on avait soigneusement mis de côté son talent de dénonciateur. Des artistes du genre « je dénonce par esprit civique… et aussi parce que ça me fait plaisir » vont pouvoir remettre en activité leur sale manie au nom du patriotisme. L’État leur offrira des oreilles complaisantes.
Une lacune va être comblée prochainement. Le SIRS, le service fédéral d’information et de recherche sociale, a l’intention de lancer à la fin de l’année un site internet où le citoyen pourra dénoncer anonymement des cas de fraude sociale.
Il s’agit bien de fraudes sociales. Elles ne concernent que le travail au noir, des fraudes à domicile, le chômage, évidemment, les droits aux CPAS, mutualités, etc.
Ne pas confondre avec les fraudes fiscales, les fausses déclarations d’impôt, les avoirs à l’étranger non déclarés, etc. Cette délinquance là est rarement de proximité. La matière reste délicate à traiter. Elle se traite au coup par coup entre des inspecteurs des finances et des avocats bardés de Codes et de jurisprudences.
Autrement dit, les pauvres seront chargés de faire le ménage chez les pauvres, qui le sont un peu moins, grâce aux petites combines qui rapportent que dalle, mais qui frustrent les Finances de quelques billets.
On peut compter sur le formidable appétit de ceux qui se sentent frustrés de ne pouvoir dénoncer depuis 1945.
En souvenir de leurs pareils qui encombraient de leur courrier les couloirs des gestapos et qui envoyèrent ainsi à la mort le cœur léger, des centaines de Juifs, de résistants, de réfractaires au travail et ceux qui n’étaient ni l’un, ni l’autre, et qui finirent à Auschwitz pour avoir été un voisin ou un parent d’un individu viscéralement dénonciateur, l’État relance l’idée.
L’Administration s’est souvenue du goût de certaines personnes de la lettre anonyme et s’est demandée comment utiliser cette honorable racaille.
Honorable, parce que l’excuse est patriotique, racaille, parce que c’est dégueulasse d’accuser quelqu’un anonymement du point de vue de la morale.
Jean-Claude Heirman, directeur du SIRS, met au point un site internet afin de recueillir anonymement un certain nombre d’informations sur le fraudeur potentiel.
Ce haut personnage s’inspire du docteur Goebels afin de sabrer dans ce nouveau marché noir qui permet à quelques pauvres diables de survivre, même si parmi eux se sont glissés certains fraudeurs professionnels plus malins, qui échapperont aux lettres anonymes, parce que souvent plus intelligents que les dénonciateurs.
Bien entendu, les infâmes qui prendront leurs crayons gras pour souligner les noms de ceux qu’ils dénoncent, sont persuadés que la femme d’ouvrage ou les chômeurs conjoints qui vivent séparément pour cause d’indemnités meilleures, sont les grands responsables de la crise économique et que, sans eux, nous serions à nouveau dans une ère nouvelle de prospérité. Souvent, ce sont les journaux qui privilégient l’histoire du petit arnaqueur, alors que les milliards des gros fraudeurs passent au bleu de la machine à informer.
Honte supplémentaire, c’est un socialiste flamand John Crombez (sp.a), secrétaire d’État à la Lutte contre la fraude, oui, oui, ça existe des socialistes de cette trempe là, qui soutient l’initiative et qui nous explique qu’une source d’informations de ce genre existe aux Pays-Bas. Et il faut, paradoxe de ce charmant pays, que ce soit l’Open Vld qui le critique.
Le monde à l’envers, en quelque sorte !
Les syndicats ferment leur clapet. Pas de commentaires. La FGTB à Liège a d’autres soucis en tête. Elle poursuit gaillardement une extension de ses services place Saint-Paul. On ne savait pas l’organisation des travailleurs en passe de se reconvertir dans l’immobilier !
Heureusement, il n’y a pas que des dénonciateurs et des lâches en politique.
La délation anonyme est critiquée par la Ligue des droits de l’homme. La réaction du président de la Ligue, Alexis Deswaef, est saine : « Cette mesure risque de faire jouer au citoyen un rôle de flic qui n’est pas le sien, participant de la construction d’une société de la méfiance où règlements de comptes et dénonciations calomnieuses ne manqueraient pas de causer des dégâts aux personnes visées et au vivre-ensemble. »
Heureusement que la société belge n’est pas faite que de salauds.
Reste que les politiciens qui vont remettre en marche cette infamie oubliée depuis 1945, sont de biens petits personnages.