Europe : fin du mythe.
La Banque Centrale Européenne joue un jeu dangereux avec son Pacte de stabilité. Son premier principe est une méfiance constante envers les gouvernements démocratiquement élus. Cette méfiance est judicieusement exploitée par des partis antieuropéens qui n’ont pas beaucoup à faire pour rassembler les populations des États membres les plus en souffrance de la crise. Ceux-ci au lieu de reporter leur mécontentement sur l’extrême gauche pour l’étoffer, apportent leurs voix à l’extrême droite.
La BCE s’efforce de priver les pays de toute autonomie en matière de politique monétaire comme en matière budgétaire en suivant des règles qu’elle sort de nulle part, sinon de ses propres convictions !
Ici s’éclaire mieux la politique d’abandon de Barroso et de Van Rompuy de l’Europe sociale s’en remettant pour tout à la BCE.
A la fin de l’année, cela fera bientôt cinq ans que des classes moyennes, aux classes populaires, toutes paient un lourd tribut à cette politique d’équilibre budgétaire.
Or, pour s’attaquer vraiment au déséquilibre budgétaire il faut réformer l’État dans ses dépenses excessives, ses impôts et taxes diverses. Et c’est là qu’une absence de la gauche au pouvoir (le PS étant dorénavant au centre) se ferait sentir si des pays comme la Belgique se mettaient à rêver d’un vrai équilibre budgétaire !
Ce que Di Rupo a fait jusqu’à présent pourrait s’appeler une politique douce-amère, consistant à demander un petit effort général, une taxation légèrement plus forte des hauts revenus et une amorce des capitaux en transit d’une part, et d’autre part un tour de vis sur les dépenses sociales, chômage, pension, mutualité ; enfin, des droits d’accises soi-disant pour tous, tabac et augmentation ciblée de la TVA. Cependant, dans cet ensemble de mesures, surtout pour les dernières, ce sont les bas et moyens revenus qui paient les 90 % de la note.
Ce n’est pas ce que la BCE veut exactement, mais cette poudre aux yeux nous permet d’attendre de meilleurs jours, c’est-à-dire une relance qui tarde et qui, à mon sens, ne viendra pas, tandis que la BCE a d’autres sujets de mécontentement ailleurs.
Où est la réforme profonde de l’État dans son coûteux exécutif et son organisation népotique des places et de ses richissimes retraités, dans une démocratie fort peu attachée au δῆμος / dêmos, « peuple » et surtout attentive à l’aphérèse du mot κράτος / krátos, « pouvoir », ce dernier n’étant plus guère dans les mains du peuple de par sa dilution extrême de compétences incontrôlables.
Enfin le gros morceau des réformes en profondeur est au vif du sujet économique, avec l’envolée des hauts salaires, l’incapacité des politiques d’en réduire l’éventail, la transmission des patrimoines et l’inégalité frappante entre la taxation du capital et celle du travail, le tout dans une impossible réforme de revalorisation du travail manuel, d’un monde où il sera bientôt plus difficile de trouver un bon maçon, qu’un bon médecin.
Les instances européennes ont bien tenté de lancer des pistes pour des réformes structurelles avec un succès très inégal. Leur élaboration n’était ni démocratique, ni mobilisatrice, leur orientation libérale trop prononcée en faisait à l’avance des réformes structurelles du type de celles entreprises depuis Schröder et aggravée par Angela Merkel en Allemagne. C’est-à-dire une grande permissivité des entreprises sur les salaires à condition de diminuer le nombre de chômeurs et initiative de l’État pour des coupes sombres dans le domaine social. Cela a été fait, mais à quel prix ! Bas salaires, pensions réduites, misères accrues.
Cette politique ne correspond pas encore à celle du gouvernement Di Rupo. Mais peut-être y viendra-t-on après mai 2014, quand la droite modérée (CDH et socialistes) passeront des accords avec l’autre droite (CV&P, N-VA) ?
Jusqu’à présent le succès de l’Allemagne est le fruit d’une politique trop libérale pour être franchement la bonne. Cette orientation n’a pas connu les succès éclatants qui l’auraient légitimée et que les journaux claironnent. La réussite allemande, c’est une bonne affaire pour une minorité et une blague de mauvais goût pour tout le reste. La démocratie n’a pas comme premier principe d’appauvrir les peuples pour enrichir une nomenklatura politico-industrielle et financière.
Le mouvement de libéralisation économique (directive Bolkestein) n’a pas eu d’effets miracles. Mieux, pour lutter contre des forbans de l’industrie mondiale, certains pays ont rêvé de nationaliser les entreprises que ces voyous abandonnaient ou sous-employaient. Mais ce n’était que de la poudre aux yeux et les politiques sont retombés l’échine basse à subir la loi capitaliste.
On peut juger des effets pervers de cette politique en faisant l’historique du déclin de la sidérurgie du bassin mosan, les espoirs suscités par des repreneurs qui n’existaient pas, une volonté de nationaliser l’outil qui a fait long feu. Il ne reste plus que des négociations « serrées » pour que les travailleurs ne partent pas en préretraite ou au chômage les mains vides. Tout est dit, syndicats et partis bredouilles. Le système triomphe. Fin des espoirs et fin de la métallurgie.
L’Europe sociale est restée lettre morte, seule l’Europe de la concurrence et de la finance a tiré son épingle du jeu.