Celle que je préfère ?
Il en va de la guerre de 14, comme des autres.
La population subit les ukases de ses dirigeants. Les grands s’affrontent par petits interposés.
On dit de part et d’autre que la patrie est en danger. Et le fait qu’on le croie, elle le devient.
C’est un classique du cinéma : on s’exalte et l’on part la fleur au fusil. Quand on revient, même sans trop de dommages, ceux qui sont restés ont fait des affaires avec l’ennemi, l’épouse était volage et les enfants ne vous reconnaissent plus.
Celle de 14 fut horrible et longue.
La dernière aussi à avoir une seule ligne sur laquelle les armées s’étripaient. Les civils à l’arrière étaient saufs ou à peu près. Les armées d’occupation commirent des crimes et des exactions, mais sans l’ampleur de la suivante.
Vainqueurs et vaincus gardèrent leur version des faits. Le patriotisme, cette vertu incitative de la haine, fit le reste.
Les vétérans et leurs familles entretinrent le souvenir.
Ceux de 14 eurent la chance – si on peut dire – d’avoir un relais en porteurs d’étendards et processionnaires aux vestons surchargés de médaille, avec ceux de 40. Cette parade fit des 11 novembre pleins jusqu’à la fin des années 60. Cela fit longtemps illusion par amalgame.
Il faut se rendre à l’évidence, il n’y a plus de vétérans de 14 et ceux de 40 ont au minimum 90 ans !
Restent les souvenirs et les ouï-dire des arrières petits enfants.
Quelques politiciens sortirent éminemment glorieux ou haïs de ce corps à corps de quatre années. Le Père la victoire d’un côté, l’odieux Guillaume II de l’autre.
Celle de 14 aura eu le sort de toutes les autres. On va finir par l’oublier, comme les guerres de Nabuchodonosor, transformées en 20 bouteilles de champagne, à l’Adolphe nazi, héros d’une partie de l’extrême droite en 2013.
Qui frémit encore aux guerres de Charlemagne à Napoléon, à part l’historien, qui s’enflamme au soleil d’Austerlitz ou surgit des éboulis de Roncevaux pour l’ultime sacrifice ?
On devrait pouvoir célébrer toutes les fins de conflits comme le terminus d’une belle connerie et « promis juré » de ne pas remettre ça.
Hélas ! on dirait que les guerres sont inscrites dans les gènes d’une humanité qui pourrait finir avec l’une d’entre elles, plus meurtrière que toutes les autres. Elle en a les moyens pyrotechniques.
Le grand thème aujourd’hui est « réconciliation » on ne peut pas faire une guerre sans que des pays tiers s’en mêlent, avec des pluies d’ambassadeurs pour une réconciliation. On ferait mieux de faire la réconciliation avant. Tant pis si les marchands de canons tireraient la gueule.
La guerre de 14 traîna longtemps derrière elle des séquelles en Allemagne avec une fausse vraie occupation de la Ruhr, une république de Weimar travaillée par deux antagonismes : le communisme et le nationalisme. Il faudra attendre une petite cinquantaine d’années après le wagon de Rethondes, pour voir Mitterrand et Cool se donner la main lors d’une commémo. La guerre de 40-45, prolongation de 14-18 en plus saignant encore, aura allongé les délais.
C’est vite dit de crier des slogans contre la guerre – toutes les guerres – quand les hommes sont confrontés à un système économique qui ne se maintient que par les guerres. On a beau dire « plus jamais ça ! », celui qui a un stock de kalachnikovs sur les bras n’est pas d’accord.
L’économie mondialisée nous rappelle que la première guerre était aussi mondiale. Y faut-il voir une coïncidence ou le fait qu’un seul troupeau n’est pas un gage de paix et que les « alpha » ont toujours dominé les « oméga », au point que vingt ans plus tard, la seconde fut encore plus saignante que la première ?
Reste que la guerre de 14 toucha la paysannerie et décima les campagnes. Le monde rural reflua vers les villes sous prétexte de vivre mieux. Les conséquences furent considérables. Le prolétariat nourrit sans le vouloir le capitalisme triomphant et en même temps on vit la conséquence de la guerre sur le concept moral. Du moyen-âge à nos jours, personne ne s’en était aperçu : l’assassinat sous prétexte de patriotisme était devenu une vertu dans les tranchées. Des anarchistes furent exterminés pour avoir soutenu qu’un crime est un crime. Des prêtres bénirent des armées des deux côtés, si bien que Dieu lui-même en ne choisissant pas son camp s’inclinait de fait devant des impératifs guerriers contradictoires.
Les religions ne s’en sont pas encore remises, au point que l’intégrisme triomphe de nos jours.
Même si nous n’avons qu’une vague idée de celle de 14, nous procédons d’elle dans nos mœurs et notre façon de penser. Notre destin était inscrit dans les batailles de Verdun et dans les fossés de Dixmude, alors que nous n’étions même pas nés !
Seuls les philosophes et les historiens en conviennent. Le peuple est sans mémoire. Sinon, dès août 14, Français et Allemands de la troupe auraient fait de la chair à pâté de leurs chefs, avant qu’ils ne deviennent de la chair à canon.