L’idiot de la famille ! (1)
Ah ! qu’elle est belle et si active, enfin plus tellement, notre société de consommation de masse. Le seul et grave problème – dans le fond il n’y a jamais eu que celui-là – c’est de donner une conscience au peuple.
Une conscience qui le conduit à rendre des comptes à la société sur le travail qu’il exécute d’après des plans qui ne sont pas les siens.
Une conscience qui lui fait rejeter comme le comble de l’horreur le chômage de 20 % des producteurs et qui va jusqu’à culpabiliser ces 20 % là !
Cela n’a l’air de rien, mais c’est très difficile.
Aussi faut-il un enseignement qui n’enseigne pas, une morale immoraliste et une assistance à personne en danger qui mette sérieusement en danger.
On a tout ça. Mais, il faut du temps pour rendre idiot. Il y a toujours des récalcitrants. Un enfant ou l’autre du bon laboureur qui trouve que prendre de la peine, c’est d’abord pour soi et non pas pour le propriétaire du terrain.
Le gouvernement fait ce qu’il peut pour aiguiser cette conscience et ce faisant met à l’épreuve ce même peuple en retirant, avec son accord, peu à peu l’herbe sous les pieds des 20 % qui font désordre.
L’autre jour, j’ai parlé à un de ces parfaits crédules qui s’en allait au travail comme on va à l’abattoir et qui déchargeait sa colère sur les 20 % qui n’y vont pas. A l’entendre, ces tire-au-flanc étaient responsables de tout et surtout des quelques euros qu’on lui prélève sur sa paie rien que pour les nourrir ! Il ne voyait pas que la main qui lui enserrait la gorge n’était pas celle de son voisin, en train de faire la file au FOREM !
J’avais devant moi la parfaire réussite de ce que tout gouvernement souhaite. Enfin une victime qui s’en prend à une autre victime, rien que parce qu’elle est plus astucieuse ou plus malheureuse qu’elle !
Ce magnifique résultat est en partie le chef-d’œuvre des hommes politiques qui disent nous bâtir un bel avenir.
Ils nous masquent la réalité et sauvent du désespoir une importante population, qui autrement se serait crue sous le joug. Grâce à eux, ils étendent l’idiotie satisfaite à des millions de gens.
Les moyens de la persuasion ont toujours été limités dans tout gouvernement. On fait avec les moyens du bord. Il ne viendrait pas dans la cervelle de Di Rupo l’idée de distribuer des visières aux travailleurs afin qu’ils ne regardassent pas au-dessus d’eux. Il a tort. Déjà la droite libérale fait mieux ! Elle prépare des œillères comme les chevaux de trait des temps anciens, afin que les besogneux ne se distraient pas trop en comparant latéralement les médiocres existences.
Mais déjà, tout cela paraît dérisoire, effacé, voilà que surgit la droite flamande certaine de l’ankylose générale des cerveaux et prête à multiplier les coups afin d’au moins extraire des 20 % d’inutiles quelques poignées de repentis aptes à l’autocritique dans le Soir ou la Libre et de faire descendre le restant dans les bas-fonds de l’indécente misère.
Depuis les temps médiévaux est-ce que la perception du travail a véritablement changé ?
Pendant quelques années on a eu l’impression que le servage était révolu : on y retourne. De même, bien façonnés pour l’acquiescement unanime, les serfs actuels retrouvent leurs tourmenteurs avec les délices du syndrome de Stockholm, œuvrant ardemment au triomphe d’un système, qu’ils ne comprennent pas.
Voyez l’Allemagne, comme les travailleurs aiment travailler plus pour gagner moins !
Ardents aux heures supplémentaires, voilà qu’elles ne seraient plus payées, mais intégrées dans le nombre d’heures en vertu de quoi un citoyen de base est baptisé honorable. Qu’importe, le citoyen assure, ne serait-ce que pour le pays. Et il essuie une larme.
Les barons médiévaux, les princes et les rois reconvertis dans la finance et l’import-export apportent à asticoter le manant une ardeur sans pareille, qu’il soit en pleurs d’amour pour eux, les ravit !
Ils ont inventé la dette. C’est-à-dire qu’ils se prêtent à eux-mêmes des sommes folles que les manants sont censés rembourser !
Dans ce monde merveilleux, il fallait des oriflammes, des emblèmes, des enjeux. Nos barons ont réinventé les jeux du cirque, le football, les vedettes qui excitent le populaire, les jeux d’internet pour les enfants, les pornos pour les adultes et la bière pour tout le monde.
Et pourtant… traquer les 20 %, vomir les étrangers, stipendier l’anti-fric, il reste comme un malaise général, un doute supérieur qui n’est pas celui de Malebranche, mais celui des barons qui se disent inquiets.
Et si la société, si radieuse fût-elle, n’était qu’un château de cartes que le moindre vent coulis d’un intestin qui se dégonfle pourrait jeter à bas ?
A leur place, dans le doute, je me mettrais à construire des prisons un peu partout.
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1. Rien à voir avec les 3 volumes de Sartre à la NRF.