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Un mauvais Belge !

Nous voilà beaux, la Libre vient de sortir une histoire, celle d’Assita Kanko, propre à ravir la ménagère de plus de quarante ans, dans les chaumières où l’on ne parle pas que le turc.
On ne dira jamais assez la geste de ceux qui viennent en Belgique poussés par le désir d’intégration.
Des gens ayant soif de liberté quittent des régions dangereuses au péril de leur vie pour trouver un pays de devoir ! C’est beau ! C’est grand !
Bon sang de bonsoir ! Moi, Belge sans l’avoir su à ma naissance, je ne me suis jamais posé la question. Suis-je fait pour le devoir ? Suis-je intégré ?
C’est vrai après tout, on prêche pour l’intégration des autres, mais l’est-on soi-même ? Vous me direz que je n’en ai nul besoin, puisque natif de la place Del’Cour, je suis naturellement et d’office intégré ! Mieux, je suis tellement dans la position de l’intégré qu’il me reste un fond de parler wallon que je tiens de ma grand’mère. C’est dire qu’on ne le peut mieux être !
Je dois souffrir quelque part d’une non-intégration systématique, une sorte d’allergie qui fait que je sois étranger dans mon propre pays !
– L’autre… diront les intégrés de fraîche ou de longue date, l’autre « a qu’à pas rester, a qu’à aller ailleurs ».
Dix « aka » plus tard, si je vais ailleurs, ce sera pire. Vous me voyez au Burkina échangé de nationalité avec le frère d’Assita ? Lui cherchant un pays de devoir et moi le fuyant ?
Que voulez-vous que j’y fasse là-bas ? Déconseiller les jeunes de se ruer en Belgique, pays que j’aurais quitté par goût pour le Burkina ? On finirait par me prendre en grippe! Des autochtones fous furieux brandiraient l’article de la Libre sous mon nez avant de faire mon affaire.
Ici, au moins, je suis un étranger qu’on tolère. Au Burkina, si je ne fais pas patriote 100 %, je n’ai aucune chance. De toute manière, même 100 % patriote, ce serait la même chose. Le tô (ou saghbo en moré) se mange sur une natte. Ma hantise serait qu’un scorpion se glisse sous mon abaya immaculé et pique ma zigounette. Je l’avoue, seul non-intégré sur Meuse qui ose le dire, je préfère manger des frites chez Lequet.
J’ai quand même quelques satisfactions.
Je passe à travers les raffles. Les flics ne me demandent jamais mes papiers. Ils devinent à ma tête que mes femmes ne cuisent pas de Gözleme sur un feu de bois que j’entretiens au cinquième étage de mon building. Pendant tout un temps, je coupais aux amendes de roulage – oh ! des trucs bénins – en sortant ostensiblement mon livret militaire. C’est tout juste si le service d’ordre ne se mettait pas au garde-à-vous. Ils avaient devant eux un ancien troufion de la Chartreuse ! Une espèce en voie de disparition. Plus Belge que ça, tu meurs… Assita Kanko aura beau faire, elle ne fera jamais fait son temps à la Chartreuse. Notez, que je le regrette. Seul à seule dans la chambrée un dimanche de corvée, elle aurait pu me convaincre de m’intégrer, on aurait fait paillasse commune… On se serait habillés à la hâte au son du clairon… Les douze mois se seraient vite passés, trop vite hélas ! On aurait fêté ma quille tous les jours…
Oui madame, un des derniers à avoir fait douze mois pile ! La seule ombre, j’aurais été conduit d’office à un petit supplément pour entrer dans le cadre des officiers de réserve, si je n’étais déjà un rebelle, passif, mais rebelle !... avec cette idée de ne pas être intégré… être plus diplômé que le capitaine apporte plus d’inconvénients que d’avantages.
Dans ma rue tout le monde ignore que je n’aime pas le pays où je suis né. Je l’ai écrit sur un blog afin d’en persuader mes compatriotes. Peine perdue, personne ne le lit, sinon les esthètes, les socialistes rentrés, les tordus, certains MR par mortification, les journalistes à court d’idées, les bourgeois qui aiment se faire du mal ou pire, les convaincus comme moi de n’être pas intégrés, en tout moins d’une centaine de personnes, alors que Stromae…
Je passe même pour un bourgeois sans histoire. On me salue et on ignore mes autres voisins qui font plus rastaquouères et qui sont pourtant plus intégrés que moi !

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Sur la Libre, Assita aime la Belgique. Elle y a connu l’amour. Elle a gravi les échelons de la banque. Elle a fondé un foyer. Ventrebleu ! j’ai tout, comme elle, comment se fait-il ?
Elle y fait même de la politique grâce à sa belle carte de citoyenne. C’est peut-être ça qui me manque pour m’intégrer. Entrer dans un local dans lequel pérore Louis Michel, comme l’a fait bravement Assita, a toujours été au-dessus de mes forces.
C’est sans doute la raison principale de ma non-intégration.
Je suis un mauvais Belge !
Il en faut de mauvais pour qu’on sache qu’il y en eût de bons !
Sans nous les mauvais Belges, à qui imputer les désastres vers lesquels nous courons ?

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