Un besoin d’adorer.
Quel est le lien qui relie Nadal, Schumacher et Zlatan Ibrahimovic ?
Ces champions vivent dans des univers sportifs différents. Les fans y voient l’épopée de l’homme extraordinaire. Venus d’un monde à part, une mythologie commune les réunit par-delà leurs dissemblances. Ils rejoignent les mythes les plus anciens.
Le héros est une fiction, comme Achille et Pâris, mais c’est une fiction réaliste, comme le fut en son temps Alcibiade et Alexandre.
Il n’est pas représentatif de l’Humanité, cependant il incarne l’Exemple du héros sorti de la condition humaine.
Nous en sommes tous là : le culte des héros !
Nous en perdons la boule, tandis que le quotidien nous ratiboise les poches, que l’extase au culte des héros nous ravit l’âme et empêche de trop penser à l’héroïsme qu’il faut pour seulement survivre par ce temps de chien, dans un contexte pourri.
Seulement minute. Chaque époque a les héros qu’elle mérite. Le star system est passé par là.
Nadal et Schumi sont aussi éloignés de Jeanne d’Arc et Robespierre, que le pape François est étranger à Lady Gaga.
Les significations sociales ne sont pas les mêmes.
Les héros anciens nécessitaient de la culture. Il n’est pas besoin du certificat d’études pour comprendre les héros modernes.
Eux-mêmes ne s’identifiaient pas aux dieux. L’eussent-ils prétendu, la société les rejetait.
Les héros actuels ne donnent plus à réfléchir, sinon dans les prouesses de leur sport qui n’ont aucune signification comparables à celles de l’employé de bureau, victime plus que le héros de « l’héroïsme d’une vie perdue sans grandeur » mais ô combien bien plus utile et qui n’aura jamais valeur d’exploit.
Comment un sportif ordinaire devient-il un héros « exceptionnel » ? Et de quel héroïsme s’agit-il ?
Le 3 avril 1955, le cinéma Rio de Sclessin s'embrase, Jeanne Rombaut, 13 ans, s'extirpe du cinéma par la sortie de secours. Pas le choix, l'autre sortie se trouvant derrière l'écran, est en feu. La jeune fille va retourner trois fois dans la salle et y sauver trois enfants. Elle y mourra en voulant sauver le quatrième.
Nadal aura cent fois plus d’espace dans les gazettes à propos du plus petit tournoi qu’il ait jamais remporté que l’héroïsme anonyme de cette enfant !
Le héros moderne ne meurt pas. Il ne délivre aucun message et ne vole au secours de personne. Il se disjoint de la condition moyenne par les sommes astronomiques qu’il amasse et n’exprime jamais d’opinion politique.
Le spectacle sportif nous donne à voir un perdant mais surtout un gagnant qui devient le symbole de la réussite, tandis que l’autre est assimilé à l’échec (Poupou l’éternel second).
C’est tout à fait ce qui convient à l’amour de la gagne, ce redoutable détonateur de la performance entrepreneuriale dont les économistes ont besoin pour conforter l’esprit de concurrence, parfait stimulateur de la compétition sociale, chère aux libéraux.
En-dehors des stades, des circuits et des courts, le sportif évolue dans un tout autre milieu que celui qu’on lui suppose. Il fait partie d’un cercle mondain où les rencontres sportives ne se différencient guère de celles d’un club ou d’un salon.
Il s’assimile à un autre « gagnant » qui serait plutôt celui des Conseils d’administration.
Le sport que les athlètes adulés appellent eux-mêmes de « haut niveau » est un monde de rapport entre la force et la règle. Au contraire de la philosophie, la force ou l’adresse prime le droit. Le droit du plus fort ne bafoue jamais le droit : il l’ignore. Un peu comme Sarkozy, président, ignorait superbement un droit dont il avait pourtant la garde, quand il touchait à ses intérêts politiques ou financiers.
Si les religions sont toujours l’opium des peuples, le sport de haut-niveau est leur agent supplétif.