Scouts toujours prêts !
Un gros malin de la Libre Belgique – je crois bien que c’est Francis Van de Woestyne – s’est gaussé des journalistes étrangers en poste à Bruxelles, à propos de leur manque de connaissance de la situation politique du pays. Il visait tout particulièrement Jean Quatremer, d’un article duquel il extraya quelques erreurs de lieux et de personnes.
Je ne voudrais pas écrire du mal de Francis Van de Woestyne, il s’en fait assez à lui-même dans ses pensums. Pour une fois que nous avons un journaliste d’opinion, c’est comme si nous avions devant nous le bon petit Belge type, patriote en diable et heureux de vivre dans un aussi charmant pays. En bref, Van de Woestyne s’exprime exactement comme les Le Hodey, propriétaires de la Libre, se seraient exprimés ainsi que presque tous les journalistes avec eux, ces derniers obligés de gagner leur vie auprès des premiers. Avec ça, un penchant naturel pour le scoutisme adapté à la finance, un Tintin émerveillé d’être l’hôte de Haddock à Moulinsart et, en même temps, la nostalgie d’une moule frite sur la Grand-Place.
Aussi Quatremer, esprit frondeur et caustique, ne pouvait qu’irriter de Woestyne, de son analyse de la Belgique.
« La Belgique francophone refuse de voir ce qui va se produire, que le pays va davantage s’évaporer, que la Flandre veut se débarrasser de la Wallonie socialiste qu’elle ne supporte plus. Il faut lire les journaux francophones pour le croire: Elio Di Rupo aurait "pacifié" le pays comme on nous expliquait en 2010 que la N-VA et le PS allaient gouverner ensemble, consensus à la belge oblige. La méthode Coué à ce niveau, ça en devient gênant. ».
Enfin, crime de lèse-majesté du pouvoir, Quatremer met le doigt sur le mode de scrutin proportionnel, que je ne cesse de dénoncer depuis des années, sur le temps que le monde de la presse joue Œdipe, plutôt aveugle de naissance que s’aveuglant.
« Comme il faut à peu près que tous les partis participent à une coalition pour former une majorité, il n’y a donc aucun parti d’opposition. Et même lorsqu’il y en a un, la complexité du modèle institutionnel fait qu'il est de toute façon associé au pouvoir dans une autre entité. Ça limite les possibilités de débat... Comment voulez-vous que, dans de telles conditions, on s’affronte réellement, en dehors des périodes électorales. Le débat politique à la française ou à la britannique n’existe quasiment pas en Belgique. »
On aura compris que ce type de raisonnement est inaudible pour le scout Van de Woestyne.
L’interlocuteur de Quatremer a dû aussi se sentir vexé dans l’interview, puisque retournant la question à propos de la France, il lui fut répondu : « Ce n’est pas parce que je critique un pays que je dis que le mien est parfait. Je refuse que ma nationalité me soit à chaque fois opposée, ce que vous n’oseriez pas faire avec un journaliste d’origine africaine, par exemple. Je ne prends pas plus de gants avec la France qu’avec l’Allemagne ou la Belgique. L’Hexagone n'est pas parfait, c'est le moins que l'on puisse dire, mais on s'y indigne et l’indignation, c’est le ferment de la révolte et de la révolution. »
Pour le moment, l’indignation en France prend plutôt une méchante tournure avec 25 % de votes en faveur de Marine Le Pen ; mais bon, nous avons bien Bart De Wever à digérer aussi pour ne pas tomber dans l’excès de confiance.
Sur un autre plan que communautaire, alors que celui-ci est largement suffisant pour détruire ce qui reste du socle national et désespérer Van de Woestyne, si nous dressions aussi le constat terrible d’une crise économique à propos de laquelle nos grands éditorialistes sont loin d’être en première ligne ?
Nos experts n’ont pu prévoir la crise. Par contre, ils constatent dans la Libre que nous en sortons, à un moment ou nous sentons qu’elle s’est installée durablement. La preuve, elle provoque une crise sociale, une crise politique et une crise de la démocratie. Les mœurs des banquiers n’ont pas changé, la globalisation bat son plein de catastrophes économiques et qu’entend-on dans les rangs de nos inimitables satisfaits ? Un cri de ralliement : Scouts toujours… prêts !
Prêts pour qui ? Pour quoi ?