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Treize ans plus tard.

Nous sommes en 2027. La coalition des partis de droite PR, PS et N-VA sont au pouvoir depuis 2019. Le chômage est à son comble. C’est l’Église catholique qui a repris les dons et l’assistance aux pauvres, les CPAS ayant été fermés sur la décision du ministre PS des affaires sociales.
Le pouvoir économique est dominant. Les décrets bancaires ont force de loi. Bart De Wever, premier ministre, a mis en place la partie de son programme intitulé « autocritique des citoyens repentis ». Ce programme a fait baisser le mauvais esprit de 62 % dans la population. Il permet aux électeurs de se purifier la conscience et de se libérer de pensées subversives.
L’opposition en exil à l’étranger a fait savoir par la presse clandestine que ce nouveau service est très proche des séances d’autocritique avant de passer devant le peloton d’exécution.

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– Non, prénom et qualité.
– Full Emploi, libelliste.
– Quelles sont vos pensées subversives ?
– Je crois qu’être sans travail et nourri par l’Église, c’est lutter contre le système capitaliste.
– Vous croyez que les chômeurs sont des résistants ?
– Enfin, je l’ai cru jusqu’à ma sortie de prison et l’obligation qui m’a été faite de passer devant votre commission sous peine d’y retourner.
– Qu’est-ce qui vous faisait penser cela ?
– Le chômage avant la cessation de subvention préservait la santé de tous stress : plus de burnout, de dépression, de borderline, parmi les chômeurs. Ils se levaient à l’heure où la bourgeoisie se lève. Lorsqu’il y avait du soleil, ils se promenaient librement dans les parcs publics, lisaient les journaux trouvés sur les bancs ou dans les poubelles, se vêtaient dans les échoppes de troisième main, pouvaient rêver, lire, s’intéressaient à eux et aux autres, bref vivaient l’existence des piliers du régime. Sans l’obligation d’aller à la messe de Rupo V.
– C’était exclusivement pour des raisons de santé que vous aviez ces pensées subversives ?
– Pas seulement. Du temps où le chômeur percevait encore une modeste contribution de l’État pour sa survie, j’avais l’espoir que les sommes que les sans travail arrachaient à l’avarice des puissants étaient autant de défis à la toute puissance de ceux qui, du bon côté du guichet, percevaient jusqu’à deux cents fois plus qu’un chômeur moyen pour seulement se faire voir au sommet des buildings de la finance ou dans les ministères.
– Vu vos antécédents, je vois que vous avez été condamné à deux ans de camp de rééducation et que c’était mérité. J’espère que vous avez abandonné cette fâcheuse tendance d’opposition à notre société qui a admirablement réussi à sortir de la crise.
– Je pensais alors que la pauvreté allait pousser les gens à se révolter et…
– et ?
– …et qu’ils allaient avec les exilés revenus au pays chasser les criminels au pouvoir.
– Et maintenant vous pensez toujours pareil ?
– Non, évidemment.
– Ils avaient tort ?
– Oui, en quelque sorte.
– Pourquoi ?
– Parce qu’ils étaient le nombre et qu’ils auraient pu s’organiser avec les travailleurs, et que ce sont les syndicats qui n’ont pas osé.
– Vous le regrettez ?
– Puisque je vous dis que je ne pense plus de la même manière.
– On peut savoir à quoi vous pensez à présent ?
– J’ai pensé jusqu’à la sortie et jusqu’au moment où le portier de Lantin m’a ouvert les portes, qu’on ne peut pas lutter avec des paroles contre les gens armés d’autopompes et de décrets et qu’il fallait s’équiper pour tenter de faire jeu égal.
– S’équiper comment ?
– Vous avez vu comment par le passé les russophones d’Ukraine sont passés russophiles ? Puis, j’ai vu le ciel bleu et la route devant moi et je me suis dit que sous peine de retourner faire deux ans, voire plus de camp, il fallait changer de mentalité et faire comme tout le monde.
– Voilà vos papiers, vous êtes libre de trouver fissa un boulot. Six tampons par semaine de patrons visités sont un minimum. Foutez le camp, avant que je ne change d'avis.

L’histoire ne dit pas combien de citoyens sont dans le cas de Full Emploi. Il doit y en avoir beaucoup. Prudence ? Lâcheté ? Non. Vous avez déjà lu des histoires sur la Résistance et comment il fallait mentir à la gestapo pour avoir une chance de sortir libre et continuer le combat ! La société est devenue cet outrage permanent contre les gens et comme ceux-ci ont pris l’habitude de mentir pour résister.

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