La gauche peut mourir.
C’est le premier secrétaire du PS français, Jean-Christophe Cambadélis qui le dit «la gauche peut mourir».
Côté belge, la gauche se rengorge avec son Tartarin montois. « Elle est dans son milieu naturel en train de se rassembler, contre ce qui se prépare. Elle n’a jamais été aussi forte. » Voilà les propos entendus dans les allées du pouvoir wallon. Certes, mais cela peut être aussi des éclats de voix des grandes gueules pour se donner du courage et rendre de l’ardeur à des socialistes au militantisme défaillant, après tant d’avanies.
Les syndicats, eux-mêmes, relèvent la tête. Cependant, sont-ils certains de mobiliser des gens dont le seul souci aujourd’hui est de survivre dans leur boulot ? Après avoir tout fait pendant deux ans pour les démobiliser, on en doute.
Et si la gauche allait aussi mal en Belgique qu’en France ?
Et si cette opposition à une droite haïe n’était en réalité qu’une illusion ?
À force de décourager l’attitude revendicative d’un socialisme social, tellement combattu dans le gouvernement qui s’en va, plus personne ne se fait d’illusion sur la différence entre un libéral et un socialiste, puisque tous les deux, officiellement, souhaitent la même société !
Bien sûr, le quatuor qui s’apprête à prendre le pouvoir offre le flanc à la critique. Et si, justement, la critique était à la mesure de la complaisance du PS pour l’économie libérale, au point d’avoir toutes les peines du monde à condamner ce que secrètement ils admirent ?
Enfin, si Charles Michel réussissait là où Di Rupo a échoué ?
Entendons-nous, non pas sur la réussite, c’est-à-dire un redressement des comptes du pays et l’amorce d’une nouvelle prospérité, mais sur ce qu’une majorité considérerait comme une réussite, ce qui équivaudrait à la même chose.
On sait l’électeur moyen complètement détraqué par l’offensive libérale dans les médias, propriétés des patrons libéraux. Convaincu que le progrès à un coût et qu’il faut qu’il le paie, le citoyen lambda est devenu plus capitaliste qu’un magnat de Wall Street et presque aussi pauvre qu’un ouvrier d’avant-guerre ; mais on lui a dit que c’était pour son bien. Et il le croit.
Et si le discours libéral du gouvernement Di Rupo passait mieux encore dans ceux de Jan Jambon et Kris Peeters et que ces derniers trouvaient dans l’opinion un support à la réglementation du droit de grève à la SNCB, un tour de vis « nécessaire » dans le contrôle des chômeurs et un plus difficile accès aux solidarités nationales, dont bénéficient encore les demandeurs d’asile ?
Autrement dit, après avoir amorcé un discours de droite, si Di Rupo laissait la place à plus droitier que lui et qu’une majorité approuvait Charles Michel qui « finirait le travail » ?
On ne rirait plus tant de la « boutade » de Cambadélis, le Français !
Le succès du civisme malodorant des dénonciations « des patriotes » à l’encontre des « fraudeurs » du fisc, en dit long sur une mentalité qui glisse insensiblement vers le rassemblement d’un troupeau d’une bienpensante nation, avec toute l’hypocrisie et la veulerie nécessaire, pour subodorer que bientôt la Wallonie aussi aura une majorité de droite !
Les pertes socialistes en France devraient donner à réfléchir aux leaders socialistes belges. Là-bas, le PS est en chute libre sur de larges pans du territoire. La perte d’un très grand nombre de communes a privé le PS de forces et de capacités d’encadrement sur l’ensemble du pays. Il y a perdu des moyens, des cadres, des militants. Le risque d’une marginalisation progressive de la gauche, est bien perçu et pas trop loin de Mons, puisque Martine Aubry à Lille voit les alentours de la grande métropole du Nord changer de couleur et opter pour le bleu marine. Plus inquiétant encore, le recul du PS français ne bénéficie pas à la gauche radicale, dont les derniers scores confirment la stagnation, Front de gauche compris.
Di Rupo se rend-il compte que le malaise français est aussi le malaise belge, même si les scores du PS en Wallonie sont toujours positifs, quoiqu’en baisse. C’est le rapport de la gauche avec «le peuple», ouvriers et employés qui a dérapé. Les gens n’ont jamais avalé le mariage du libéralisme et du socialisme, qui passe pour une trahison.
Il est urgentissime d’élaborer rapidement un projet alternatif à celui de la droite classique, de l’extrême droite et communautaire. Cela ne consiste pas en l’énoncé de mesures économiques ou en l’octroi de rattrapages individuels d’une lutte contre la pauvreté ; mais en une vision globale du monde. Cela dépasse le cadre économique pour reprendre tous les aspects de la vie sociale. Les citoyens n’adhèrent pas à un projet en fonction des seuls résultats économétriques. Leur adhésion doit être le fruit d’un artefact entre l’économie et les questions sociales, culturelles et éthiques.
Ce n’est que de cette façon que la gauche pourra redevenir ce qu’elle était : une utopie qui tend par la fraternité de ses composants, à devenir peu à peu une réalité.