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Adieux aux caissières.

L’avenir éclairera davantage ce constat que je suis loin d’être le seul à avoir fait : la société belge se casse en deux. La partie émergente ne se plaint pas trop, fait vivre le commerce des bagnoles, suit la politique européenne, etc. Elle applaudit au discours libéral, auquel toutes les formations politiques, susceptibles un jour de faire partie d’un gouvernement, se sont ralliées.
La partie immergée se demande ce qu’il lui arrive et, ne comprenant pas, par dépit, se jetterait dans les bras de n’importe qui, du moment qu’il ne lui rappelle pas les partis traditionnels. S’il y avait en Belgique un calibre du genre de Marine Le Pen. Elle ou il ferait un malheur.
L’activité essentielle des uns a toutes les formes d’une vie normale et prometteuse. Il faut bien chercher dans les grandes villes sous une prospérité apparente, la misère insidieuse de cinq millions de personnes : les autres !
Contrairement aux imbécillités proférées par des énarques du genre Macron, la pauvreté ne conduit pas nécessairement à l’illettrisme, ni à la drogue, ni à la fainéantise, mais à la honte et au désespoir, oui, de se sentir incompris et rejetés par ce qu’on appelle « les élites », de bien petits personnages frappés de cécité sociale. Il y a des sans-dents, parce qu’il y a des sans-cœur.
J’ai rencontré, il y a longtemps, ce qu’on a baptisé par peur des mots une « technicienne de surface », c’est-à-dire une Femme d’ouvrage dans les couloirs de l’hôpital de la Citadelle. Les circonstances s’y prêtant, j’eus avec elle une longue conversation sur tout et rien, la politique, les mœurs, la société actuelle. Cette travailleuse était, m’a-t-elle dit, alors que je ne lui demandais rien, sans instruction, sans diplôme et sans culture. C’était la faute à personne, sauf la sienne et ceux qui l’avaient oubliée dans son petit coin. Elle faisait partie de ces gens qui passent à côté de ce qu’ils auraient pu être, sans le savoir.
Après tant d’années, j’y pense encore et j’en reste abasourdi.
Je n’ai jamais rencontré d’intelligence plus vive, d’esprit plus ouvert. J’avais devant moi une femme méprisée pour sa condition qu’induisait sa fonction. Pourtant, elle valait mille fois plus que n’importe quel grand « spécialiste ». Elle avait tout compris, les hypocrisies, les règles folles, les droits usurpés, les propriétés abusives et les corruptions diverses.

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Depuis, je déteste ceux qui poussent tout le monde dans le même sac, tout en prétendant que la lutte des classes est terminée et que chacun vaut son prix, alors qu’on n’a pas de temps de connaître vraiment les gens.
Dans mes activités diverses, j’ai eu l’occasion de côtoyer des intelligences plus ou moins vives et d’autres plutôt creuses, sans pour autant m’autoriser le droit de faire le tri du bon grain et de l’ivraie. J’ai constaté un nombre plus affligeant « d’imbéciles heureux » parmi des docteurs en tout ce qu’on veut, médecins, avocats, ingénieurs, plus qu’ailleurs.
Aujourd’hui quatre, peut-être cinq millions de Belges sont maltraités, méprisés, sous-payés. Leur seul recours en politique, le parti socialiste, s’est fait la malle et les a abandonnés.
Ils sont conscients que ce qui se joue, c’est leur avenir et que les cinq millions de citoyens du dessus sont contre eux. Ils comptent désormais le PS parmi leurs adversaires, un PS qui aurait dû être leur porte-parole et qui persiste à leur tenir des discours débiles sur la mondialisation et les profits que les travailleurs en retireront.
Les perdants ce sont les Femmes d’ouvrage et leur pareille, les chômeurs, les caissières, les personnels des chaînes de montage, tous les petits-boulots, les vieux à la pension médiocre, les classes-moyennes en faillite, ceux qu’on ne veut plus voir et qu’on glisse sous le tapis. La défaite des élites, c’est ça, en quelque sorte, à défaut d’être leur remord.
Bien sûr, il y a les discours pour faire croire qu’on aime les pauvres et qu’on va les sauver, sur le temps qu’on se dispute les places à l’Europe pour applaudir aux règles du marché, au jeu de la concurrence et au rétablissement de la balance des payements, à cause du déficit causé par ceux « qui abusent des largesses du système social ».
« Il faut s’adapter disent-ils. Il sera nécessaire de changer deux ou trois fois de métiers sur le temps d’une vie professionnelle. »
C’est drôlement gonflé de la part de ceux qui nous cornaquent d’une génération à l’autre et qui ne savent faire que ça.

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