La double à la suédoise.
Il est très imprudent d’oublier ses amis dans l’actuel sauve-qui-peut d’un capitalisme européen qui dévisse. En effet, qui soutient encore le mouvement libéral, si ce n’est ce qu’on appelle vaguement la classe moyenne, sans que l’on sache préciser ses limites.
Ce milieu jadis florissant est viscéralement attaché à la liberté d’entreprendre et à une conception du travail qui heurte la classe laborieuse. Mais c’est aussi l’armada des fonctionnaires qui ont réussi dans la politique. Entre le petit patron qui travaille soixante heures par semaine et peine à payer ses impôts et le fonctionnaire, ancien employé communal, puis échevin, puis député, il y a un monde de différence. Ils ne défendent pas la même chose, ne se rencontrent pas et ne thésaurisent pas les mêmes valeurs.
On comprend mieux le retournement de veste du socialisme qui passe d’une théorie de l’économie étatisée et socialement généreuse à un capitalisme libéral complètement débarrassé de tout humanisme, y compris le paternalisme de l’ancien temps. Les théoriciens du PS n’ont-ils pas tous intégrés par leur niveau de vie une classe moyenne « idéale » ?
Reste que l’ancienne, celle des petits commerces et de l’artisanat, grogne. Si elle marche encore au pas de l’oie, c’est avec de plus en plus le sentiment qu’on la possède.
Pourtant elle conserve l’ultime conviction que la classe ouvrière par sa « fainéantise et son mauvais vouloir » est à la base de la situation dégradée actuelle. Ce cliché, qui a la vie dure, permet à la coalition kamikaze de persévérer dans son intention de « punir » les chômeurs et de percer des trous dans la couverture sociale, afin que les « assistés » sentent passer l’hiver.
Mauvais calcul, parce que les plus vulnérables de l’ancienne classe moyenne viennent tout doucement hanter les rangs des assistés.
Il suffit de faire un tour en ville pour s’en convaincre. Les magasins fermés et les commerces à remettre ne se comptent plus. Mais où sont donc les marchands de proximité sentant l’opulence et le bénef assuré ?À part les boutiques de fringues et de chaussures, qui font « un tiers prix grossiste/deux tiers prix client» pour résister, il n’y a plus personne !
Question : où sont passés les gérants, les petits propriétaires, les négociants de jadis ?
Tout tient à un rien : que les familles « bas bleu » tombent plus bas que terre, et voilà le MR sans clientèle autre que ses Rastignac et les cinglés qui croient pouvoir réussir, alors qu’ils n’ont que leur chemise sur le dos. J’oubliais, le PS est dans la même situation avec les anciennes familles socialistes ancrées dans les bassins industriels et qui ne se sont pas encore rendu compte que les leaders du PS ont changé de casquette, qu’ils roulent dans des grosses bagnoles, ont des gourmettes à leur nom et s’envoient en Floride en mission spéciale pour un oui, pour un non.
L’hystérique du libéralisme primaire, Sabine Laruelle, n’est plus dans la politique. Dommage, elle était le type même de la représentante d’une catégorie idéale de petits entrepreneurs qui font semblant de souffrir, pour qu’on ne les taxe pas davantage. Race en voie de disparition, sans doute a telle préféré retrouver ses pantoufles dans des structures industrielles qui génèrent encore du cash. Madame a changé de crèmerie.
Baromètre de la « classe moyenne », on lisait dans ses interventions, les illusions du MR à propos de sa clientèle. On en déduisait que la situation était mauvaise pour la classe moyenne « inférieure » en train de sombrer, en comparant le nombre de faillites d’une année à l’autre.
Les Borsus et les Chastel, porte-étendards en négoce, chantent encore les vertus des derniers épiciers libéraux qui ne sont pas « anti-impôts », loin de là, mais qui se retrouvent pris à la gorge. Ils donnent des gages de leur bonne volonté et tentent de faire porter la grogne de leurs derniers affiliés sur la classe en-dessous.
Pour cette classe moyenne, les rêves de progression dans l’échelle sociale sont du passé. De « ni riches, ni pauvres », ils sont devenus pauvres tout court. Avant, leurs chances de succès étaient considérables, leur protection sociale était donc réduite. Voilà les malchanceux des classes moyennes encore plus pauvres que les pensionnés et les chômeurs.
Qu’à cela ne tienne, Borsus et Chastel poursuivront le travail entrepris par Sabine Laruelle. Ils jurent de revaloriser les pensions et les aides aux classes moyennes. Bel aveu d’impuissance d’une société libérale aux abois. Ils vilipendent les chômeurs indélicats et rognent des indemnisations, sur le temps qu’ils verseront davantage aux faillis de leur système, tout en jurant que l’État providence, c’est fini !