T’en es, ma p’tite beauté ?
– Qu’tu fous à l’aire de Spy ? Voilà quat’fois que j’ t’y croise ! Le onze, tu devrais pas être à l’Inconnu… la r’mise d’la couronne, le roi, Mathilde… Jean Jambon au respect ?
– Alphonse t’as bu… si ça se trouve, c’est moi qui t’trouve pas net… Tu sais bien que j’fournis les dérouleurs de cake et les Durex-Automatic à la gérance. C’est plutôt à moi de te demander ce que tu fous dans un coin qui sent plus la rose depuis qu’elle est ailleurs qu’au poing ?
– Pour qui t’ m’prends ? J’y suis sur ordre. Oui môssieu. I’ paraît qu’i’ s’en passe des vertes dans les vécé de l’aire, pour ceux qu’en manquent pas…
– De qoi ?
– D’air, tiens…
– T’es quoi, t’es d’la police ?
– Non môssieu, j’suis commandité par les BM&D. C’est pas parce qu’on a trouvé un ancêtre qu’était à poil à deux kilomètres d’ici, v’la des mille et des cents années, qu’on peut encore tolérer que des voyous montrent leur poilu le onze.
– Le onze de quoi ?
– …de novembre, nom de dieu ! D’où tu sors ? On est à la centième du onze ? C’est pas de l’onze du Standard, que j’te cause… C’est d’la commémo…
– Tu veux dire de l’Armistice du 11 novembre, mais c’est pas la centième, ça, c’est la nonante sixième.
– J’te crois pas. On fait l’centenaire du onze, avec couronne, garde à vous et trompettes d’honneur, partout !
– Passons. Donc tu viens mater les glandeurs à Spy. T’as une urgence ?
– C’est rapport aux bonnes mœurs. I’ déballent leurs outils devant le monde en transit, et BM&D tolère pas.
– C’est quoi BM&D ?
– Bonnes Mœurs & Dénonciation.
– I’ dénoncent les tracassés de l’oignon ?
– T’y es pas. C’est l’assoss qui veut qu’les tordus cachent leur onzième doigt et qui dénonce aussi les chômeurs qui consomment pas d’eau et pas d’gaz, des salingues, quoi… Moi j’suis d’la première activité : les mœurs !
– Alphonse, vas pas m’dire qu’tu pointes les pointeurs ! T’as oublié qu’t’es l’troisième sur la liste du parti…
– Alors ? Tu m’as vu l’œil sous les portes des vécés mater les calcifs sur les baskets des types ? Moi, môssieu, je trouve que faire ça sur l’aire de Spy, c’est dégueulasse.
– Pourquoi c’est dégueulasse plus ici qu’à l’aire suivante ?
– Parce que c’est toujours ici que ma sœur s’arrête avec mes neveux quand elle revient de Mons, pour faire ses besoins.
– Eux aussi ont des besoins…
– Oui, mais c’est pas les mêmes.
– T’en as pincé un ?
– J’les pince pas. Quand tu les pinces, tu sais jamais comment ça peut finir.
– Alors, tu sers à rien !
– Si. J’relève les numéros d’plaque pendant qu’i’ font leur boutique dans les vécés.
– Alors ?
– La consigne : j’retiens pas les plaques qui commencent par A ou P…
– T’en as vus ?
– Y a pas une heure, un P. I’ m’a vu. On s’connaît… Il a redémarré sec…
– Attends… Tu vas pas m’dire !
– Tout l’monde s’arrête pas à Spy pour les lavabos…
– Surtout qu’Dinant, c’est pas la porte à côté. Et après, pour le ch’min qui dure, t’en as qui peuvent pas rester assis longtemps…
– Paraît qu’ont des coussins spéciaux.
– On a fait beaucoup d’progrès depuis Wilde…
– J’crois que j’vais rentrer faire mon rapport.
– Avec qui ?
– Quoi avec qui ?
– T’es toujours avec Jean-René ?
– M’en parle pas. Mon collègue a pointé son numéro hier. Tu sais ce qu’i’ m’a osé dire ?
– Non.
– Qu’il était v’nu pour son avancement ! Quelqu’un lui aurait promis un ministère, quand on s’rait d’nouveau au gouvernement !
– I’ font l’cabinet fantôme dans les vécés d’l’aire de Spy à c’t’heure… Note que pour le local, c’est l’concessionnaire qui paie. Au moins là, t’es pas emmerdé… pas d’ dames chez les messieurs.