La bonne cause.
Faire l’état des lieux du parti socialiste belge n’est possible qu’en passant par l’histoire des mouvements politiques de Belgique de 1880 à nos jours. Il n’est pas nécessaire d’être passionné d’histoire, ni expert, mais une lecture ou relecture est indispensable, si l’on veut, comme Philippe Engels (n° 921 de Marianne) écrire sur « Le naufrage des socialistes belges ».
Sans quoi, on débute par la fin probable : le délitement du parti par la corruption de ses élites. Ce qui n’est pas tout à fait exact, tant le « naufrage » n’est encore qu’un « déclin ».
La raison profonde de ce déclin, Philippe Engels ne l’a pas perçue, parce qu’il est loin d’imaginer ce qu’était le PS à ses débuts, lorsqu’il était encore le POB (Parti Ouvrier Belge). Comment faire comprendre aujourd’hui aux jeunes générations, l’espoir énorme qu’il a suscité ? Alors, les méthodes employées par ses chefs étaient largement acceptées par les militants et les sympathisants, dans la véritable guerre sociale des travailleurs, contre un pouvoir libéralo-chrétien et un patronat aux manières brutales.
Les industriels avaient pour eux des lois violentes et iniques. La résistance ouvrière était l’œuvre de clandestins. Les militants, peu à peu sortis de cette période noire par la reconnaissance du socialisme des autorités, avaient été obligés de se défendre du vol par le vol, de la brutalité par la brutalité et de la défense des grands emplois d’État par la prise d’assaut de ceux-ci, d’abord dans les communes, puis jusqu’au Parlement. C’étaient les années 20. Tous les protagonistes du drame social sont morts depuis longtemps.
Mais, cette guerre dans laquelle les scrupules et la morale étaient remises à plus tard, c’était pour la bonne cause.
Il faut pouvoir reconstituer les assemblées socialistes jusque dans les années 50-60, pour avoir une petite idée du dévouement des gens pour le « parti ». Ce nom était sacré, c’était comme parler de sa famille, l’amour que l’on doit à sa mère.
Si même dans l’entre-deux guerres des appétits particuliers et des plans de carrière ont commencé leur travail de sape des consciences et des devoirs, l’ensemble de la classe politique socialiste ne s’enrichissait pas et pouvait aller jusqu’au sacrifice de sa propre situation pour se consacrer au Parti.
Philippe Engels, fragile écolo, navigant entre désir d’exercer le métier de journaliste dans lequel on ne fait pas fortune et un parti politique qui passe pour ne pas proposer des emplois lucratifs à ses dirigeants, ne peut imaginer ce que cela signifiait être socialiste en ces temps lointains.
Tous les militants espéraient pouvoir arracher des mains indignes des lambeaux de leur sort misérable pour les gérer dans la dignité. C’était cela la bonne cause et pour l’atteindre, que cela soit par le suffrage récemment universel ou la force du nombre de la rue, renverser le despotisme était l’objectif à atteindre par tous les moyens.
Puis vinrent les congés payés, les 45 heures, le repos du samedi. Des élections censitaires on était passé au suffrage universel, les hommes d’abord, puis tout qui était en âge d’aller voter, sans distinction de sexe.
Les mœurs changèrent. Beaucoup de socialistes semi-clandestins, puis reconnus, promirent sans encore l’oser pouvoir dire dans les corons, qu’ils amélioreraient plus rapidement encore le sort de leurs camarades, alors qu’ils ne pensaient déjà plus qu’au leur.
C’était toujours pour la bonne cause et les lendemains qui chantent.
Rideau.
C’est ici que l’article de Philippe Engels prend du sens.
Les dirigeants du parti socialiste ont renoncé à réformer fondamentalement le système économique. Ils s’y trouvent bien, y font de bonnes affaires, perçoivent des traitements au même titre que ceux dont ils combattaient naguère les pratiques, etc.
Ils ont gardé les réflexes de « la bonne cause » sauf qu’elle est passée de collective à personnelle. Certains, suivant le mode d’enrichissement par tous les moyens que génère l’économie, s’en mettent plein les poches.
Ils ne sont pas les seuls, les autres partis en font autant.
Le PS compte sur son passage dans l’opposition pour se dédouaner de la « trahison » et retrouver un peu des couleurs « pour la bonne cause ». Di Rupo compte ainsi faire oublier sa politique libérale de la législature précédente.
Reste qu’il n’y en a pas moins rupture. Plus la crise fait mal, plus les travailleurs seront furieux de la métamorphose du PS.
Philippe Engels – avec un nom pareil – ne peut pas leur donner tort.