En pays d’Absurdie
Du jamais vu ailleurs, c’est la sixième fois que nos illustres réforment l’État ! C’est-à-dire de la première à la dernière, ils se seraient trompés cinq fois avant d’aboutir à une sorte de monstre hybride avec cinq gouvernements, des élus en pagaille et des pouvoirs fusant dans cinq directions différentes.
Du côté francophone, cette liberté non voulue a fait perdre les esprits.
On a même vu un poste dédoublé, celui de la Région et de la fédération Wallonie-Bruxelles, tenus d’abord tous les deux par Demotte sous Di Rupo, et comme il fallait caser Paul Magnette et ne pas désespérer Demotte, tant pis pour les dépenses, Magnette a la Région et Demotte à Wallonie-Bruxelles ! C’est à cette époque que le gouvernement Di Rupo mettait en place une machine infernale contre les chômeurs que Tommelein peaufine aujourd’hui.
Ceux qui veulent garder ce qui ressemble encore à l’État belge se rassurent entre eux, en jurant que c’est la dernière. Tandis que ceux dont tous les grands-pères - enfin presque tous - ont collaboré avec les nazis, tout en dénoncent la tragique erreur familiale, sont pour une septième réforme de l’État, sans doute la bonne, puisqu’il ne resterait plus grand chose de l’État : un château à Laeken, le diadème des neuf provinces dans le coffret à bijoux de la reine et Delpérée en garde national de 1830, lisant au corps de garde des bouquins de droit constitutionnel.
Et il faudrait que les électeurs les félicitent de la nouvelle mouture pré-confédérale tellement compliquée que si on veut l’expliquer à l’ensemble de la population dans les trois langues nationales, il faudrait quatre bouquins. Les trois premiers pour chacune de nos entités linguistiques et le quatrième pour expliquer les traductions approximatives et relever les erreurs des trois autres.
Franchement, c’est du jamais vu nulle part.
La Belgique devrait recevoir un prix spécial "hors concours" dans le livre des records.
La dangerosité de gouverner un État aussi caparaçonné dans ses apparats régionalisés saute aux yeux. Parce qu’il est proprement ingouvernable « normalement ». On a donc affaire à des élus « anormaux ».
Rudi Vervoort pour ceux qui ne le sauraient pas en-dehors des Marolles, est le ministre-président bruxellois. On dit de lui « qu’il a ensuite pris la parole », parce qu’il ne la prend jamais en premier, vu qu’il est second en tout. Son discours devrait être traduit dans les 246 langues parlées à l’ONU. Ce n’est plus un discours, c’est un recueil de lieux communs. S’il avait été écrit en 1850, Flaubert n’aurait pas osé publier le sien. L’appel est lancé à la mise en œuvre « intégrale et loyale » du « nouveau fédéralisme belge » de la sixième réforme de l’Etat. Au sujet de la répartition des recettes de l’Impôt sur les Personnes Physiques, Rudi Vervoort a estimé qu’il était l’heure de se ressaisir.
Ressaisissons-nous donc. Ainsi ce sera complètement ressaisi que nous pourrons nous dessaisir de la septième, la plus belle des réformes. L’État une fois disparu, la répartition des recettes de l’Impôt sur les Personnes Physiques sera inutile, puisque chaque gouvernement souverain pourra employer la galette des gens à sa guise.
Resteront sur le carreau deux gouvernements : le Fédéral, sans but car il n’aura plus rien à fédérer et la Fédération Wallonie-Bruxelles ex communauté française, déjà en doublon avant la septième réforme. Au Ps on s’ingéniera une deuxième fois à recaser Demotte !
Ce n’est pas grave et le grand patriote laïc-maçon-chrétien qu’est Di Rupo n’a pas raison de s’inquiéter. Il restera dans les manuels d’Histoire comme celui qui aura sauvé la sixième réforme de l’État. Charles Michel qui sauvera la septième ne pourra pas en dire autant. Il n’aura jamais l’honneur d’avoir sauvé la sixième.
Mine de rien, c’est très important. À la sixième le roi pouvait encore décorer du grand ordre de Léopold et faire baronnet les sauveurs du royaume. À la septième, on ne sait pas si les décorations données en semi-départ en exil auront encore une certaine valeur de revente au marché des vanités.
Du point de vue de l’historien, l’ancienne noblesse méprisait la noblesse d’empire et la noblesse d’empire ridiculisait celle de Louis-Philippe. Di Rupo ferait ainsi partie de la dernière fournée de l’ancienne noblesse, ce à quoi le grand Charles, louis-philippard par vocation familiale, ne saurait prétendre.
« On ne peut jouer avec le fédéralisme belge au risque de le briser » termine Vervoort à son dernier poncif. Les candidats briseurs sont nombreux à l’intérieur même du gouvernement. Jambon se verrait bien, d’un geste maladroit, heurter la potiche nationale. Qu’elle chutât, sur le marbre même de nos lois spéciales, serait le rêve de la N-VA. .
Aux dernières nouvelles, Sciences Magazine nous explique comment les montagnes peuvent accoucher d’une souris.
Ils ont en Rudi Vervoort un beau sujet de laboratoire.