La banque démasquée.
On se souvient de Jérôme Kerviel, ce trader « saisi par le jeu des ventes/achats » et qui aurait à lui seul commis une perte de 4,82 milliards. Il aurait ainsi créé « une entreprise dans l'entreprise » à l’insu de la Société Générale, son employeur.
Déféré en justice, l’ancien trader fut condamné à cinq ans d’emprisonnement dont trois ferme pour abus de confiance, manipulations informatiques, faux et usage de faux. Sorti de prison en septembre 2014, il a été placé sous bracelet électronique. Il a toujours affirmé que la Société générale savait qu’il prenait des positions vertigineuses non couvertes.
D’après la banque, le montant des positions secrètes prises par M. Kerviel pour engendrer ces pertes aurait été de 50 milliards d'euros, somme qui atteint 1,7 fois le montant des fonds propres de la banque qui s'élevaient à 30,7 milliards d'euros.
Pour en finir avec les infos officielles, la mi-mars 2014, la Cour de cassation a rendu sa condamnation pénale définitive, mais a cassé le volet civil de la décision, qui attribuait 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à la banque.
La presse conventionnelle tant française que belge n’avait pas été plus avant dans cette affaire, étant entendu que la banque disait vrai et que Kerviel racontait des bobards dans sa version des faits selon laquelle ses responsables étaient parfaitement au courant de ses opérations financières. Pour cette presse « d’ordre et de bon sens » une banque qui pèse 30,7 milliards a toujours raison.
Par contre, il faut reconnaître qu’à la gauche de la gauche, on était incrédule. Qu’un employé du rang de Kerviel puisse entreprendre des opérations à risques d’une telle ampleur, sans que la hiérarchie ait été au courant, voilà qui était invraisemblable. Mélenchon et Éva Joly avaient à cette époque dépeint une justice qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez, quand on lui dit qu’il n’y a rien à voir.
Eh bien ! ils avaient raison, sur la foi de nouveaux témoignages, dont celui, capital, d’une commandante de police. Ce rebondissement imprévu va transformer le dossier Kerviel en un scandale Société générale. « La commandante de police chargée de piloter cette affaire à la brigade financière a raconté au juge d’instruction Roger Le Loire les dysfonctionnements rencontrés lors de ses enquêtes, menées entre 2008 et 2012. Son témoignage fait basculer le dossier et ne peut que forcer la justice à rouvrir l’enquête » (Mediapart).
Cette chronique n’a pas pour but de recopier ce qu’on écrit dans les journaux, à la suite de l’article de Mediapart.
Elle n'a qu’un seul objectif, c’est de percevoir à travers des lectures que chacun peut faire, le jeu trouble des différents pouvoirs au sommet de cette société : les banques, la justice, les gouvernements, les grands journaux.
Dans le cas Kerviel, le jugement a été bien hâtif et la recherche de la vérité a été stoppée « faute de moyens ». Les politiques ont tourné la page et les journaux ont emboîté le pas. Tous d’accord pour signifier qu’un minable comme Kerviel ne pouvait avoir raison contre une institution bancaire !
Nous ne devons qu’à un grain de sable, l’aspect inattendu que prend cette affaire qui aurait eu son épilogue en janvier 2016. La commandante Nathalie Le Roy auditionnée le 9 avril par le juge d’instruction Roger Le Loire aurait mentionné le témoignage d’un ancien salarié de la Société générale. Opérant au sein de l’entité « risques opérationnels », il aurait assuré à l’enquêtrice que « l’activité de Jérôme Kerviel était connue » et affirmé avoir alerté, en avril 2007, Claire Dumas, adjointe au directeur des risques opérationnels, et d’autres membres de la banque, notamment par le biais d’un message électronique « avec une tête de mort pour attirer leur attention ».
Le moins auquel on devrait s’attendre, serait une révision du procès, à tout le moins la création d'une commission d'enquête parlementaire. Eva Joly, soutenue par l'ex-ministre du Logement Cécile Duflot, fait la même requête sur Twitter, estimant que "les éléments nouveaux transforment l'affaire Kerviel en affaire Société Générale."
C’est sans compter sur la solidarité de fait des différents pouvoirs et le ministère français de la Justice a déjà rejeté les demandes de révision du procès de l'ex-courtier de la Société Générale.
À remarquer aussi l’intérêt de maintenir en vie des petits journaux comme Mediapart qui font à eux seuls le métier que tous les grands journaux ne font plus, à savoir informer honnêtement les lecteurs, sans tenir compte de l’orientation financière et politique du journal.
Les voilà bien embêtés à présent que l’affaire redémarre. Ils pourront toujours, si besoin est, privilégier l’information qui arrange la banque.