Quand Créon répudie Antigone.
Il faudra bien sacrifier aux événements et me fendre de quelques mots sur la famille Le Pen.
Au FN tout est bon pour faire de la pub, compliments et critiques. Rien n’affaiblit. Tout profite. Alors, que j’y ajoute mon petit commentaire ou pas, quelle importance !
Aux infos ce vieux guignol sanguin, hurlant au milieu de la foule mariniste « Jeanne au secours », puis la minute suivante envahissant les tréteaux sur lesquels sa présidente de fille va sacrifier au Premier Mai, d’un discours que n’aurait pas désavoué Lénine, je me suis dit « Ces gens sont bons à tout, jusqu’à se disputer les places parmi les habitués du pouvoir. »
La suite n’allait pas me démentir.
Son vieux cabot de père ne se lasse pas des rappels de son public. Ou les frontistes sont des hallucinés ou il va se faire sortir du parti qu’il a fondé, mais dont il n’est plus le maître.
Marine nous joue Antigone et son père est Créon. À l’inverse de la pièce, c’est le vieux roi qui vient de s’emmurer vivant.
Le public qui ne connaît pas Sophocle trouve ça très moderne et applaudit la fermeté de la fille et le jusqu’auboutisme du père.
Mine de rien, cette droite extrême, sauf grand écart de trop, est en passe de gagner sur la mi-mollette de Sarkozy, devenue, par caprice du prince, « Les Républicains ».
Et puis, il y a cette ancienne ministre de droite, Roselyne Bachelot, devenue pipelette sur les téloches à paillettes qui évoque un complot ourdit entre le père et la fille, pour faire monter la préparation en neige, dans une nouvelle version de Top Chef ! Elle se délecte d’en remettre une couche, comme si, après la pipe du soir par l’ineffable Patrick Sébastien, les téléspectateurs voulaient, à la vulgarité du sous-entendu sexuel, du sang et des assassinats. Ce qui est absurdement pensé de la part de la chroniqueuse médiatique, comme si ce couple infernal en était arrivé à l’incandescence incestueuse d’une complicité inouïe !
À la vérité, cette marinade amalgame la droite et la gauche, les gens chics et les ouvriers, par on ne sait quel sortilège pour flirter avec les 30 % des voix !
De Marseille à Lyon, de la classe moyenne aux smicards et même aux chômeurs, on entend le tube de l’année qui rapporte des royalties à Marine et rien à la Sabam « La différence avec les autres politiciens, Marine dit la vérité. »
Voilà, c’est fait ! Parole d’évangile. L’histoire ne s’inscrit pas autrement : Marine c’est autre chose. Quoi ? On ne sait pas. Mais, c’est autre chose !
Des électeurs paraissent gênés de ce qu’ils viennent de dire et cherchent des arguments pour compléter une parole simpliste qui ressemble à la vérité révélée par la foi. En somme, madame Le Pen instaure une nouvelle religion. Comme si on n’en avait pas assez avec celles qu’on a ! Il est vrai que la société pluriculturelle intégrée fait un four. On l’a bien vu chez nous, avec les Belges d’origine turque, à propos du génocide arménien.
Le sociologue Alain Mergier a écrit quelques justes réflexions dans Le Monde sur le phénomène en France.
Les milieux populaires ne croient plus en la capacité d'action des politiques. Ils préfèrent donner leur confiance à une aventurière, en dernier recours. Après, si celle-là les déçoit aussi, c’est un risque de rupture irrémédiable, entre les catégories populaires et les politiques. Alain Mergier prétend qu’"aujourd'hui, le sentiment se répand que c'est la France toute entière qui peut chavirer".
Les réflexions du sociologue recoupent mes propos d’hier sur l’incompréhension qui règne entre les politiques et la population. Avec la crise, ouvriers, employés et cadres, subissent une perte d'identité collective. Ils se sentent déclassés. Les Français deviennent "invisibles" aux yeux de leurs députés. Ils sont exposés à la mondialisation et abandonnés par la démocratie
Alain Mergier :
« Pourquoi les milieux populaires et les classes moyennes se tournent-ils de plus en plus vers le Front national ? Pas parce que ce parti tient un discours xénophobe, raciste, antisémite, mais parce que son discours tend un miroir dans lequel ils reconnaissent leur expérience sociale : la fragilisation du lien social, la croissance de leur vulnérabilité, l’imprévisibilité du lendemain. Le reproche qu’ils font à l’UMP et au PS est d’être sourds à cette destruction de leur vie quotidienne. Il y a ainsi dans l’esprit des milieux populaires et des classes moyennes une différence fondamentale entre l’extrême droite et les partis traditionnels. »
Pour en revenir à la Belgique, nous avons bien des démagogues de droite et même d’extrême droite. Fédéralistes comme le MR ou confédéralistes comme la N-VA et le Vlaams Blok, ils sont d’une orthodoxie capitaliste qui ne laisse aucun doute sur leur incapacité à relever le défi de la dégradation des conditions de vie des Européens.
Les Français s’enfuient vers Marine Le Pen. Notre placidité nous protège de cet emportement. Oui, mais quelle est notre alternative ? Et si elle est dans l’extrême gauche, les Belges ne sont pas pressés d’y adhérer en masse !
Commentaires
Bonne analyse, Richard!
Postée le: michel | mai 8, 2015 04:26 PM