Bel Armand et les autres.
Qu’arrive-t-il au suffrage universel, cette friandise suprême qui est censée attirer les badauds sur l’incommensurable supériorité de la démocratie de tous les autres systèmes ?
Les Polonais ont voté pour la suppression du socialisme en Pologne plus que pour le survivant monozygote Jarosław Kaczyński de l’ancien président de la république.
En décembre prochain, les Français vont sortir ce qui reste encore debout du socialisme local dans le vote pour les régions.
C’est un jeu de massacre qui pourrait se produire aussi en Belgique. C’est tout le sens donné à des élections depuis que l’argent façonne le candidat, le propulse à l’avant des médias et le projette par les fenêtres, tout au moins en effigie, pour que les badauds photographient dans leur cerveau celui qui présidera à leurs destinées.
C’est aussi l’absence d’un équilibre droite gauche dans la presse, puisque les journaux de gauche ont disparu laissant sur le haut du pavé une presse « à droite toute » comme on n’en avait encore jamais vu.
Les écrasantes majorités ne sont pas un signe de bonne santé en démocratie.
L’engouement général a toujours été suspect. L’Europe est en passe de tourner en « Panurgie » une société qui ressemble à un vol d’étourneaux qui d’un côté à l’autre du ciel reste compact sans qu’aucun volatile ne se détache du groupe.
Cette conscience unique du corps social serait admirable si elle était conduite par de grands sentiments altruistes. Elle n’est que le reflet d’une trouille générale dans un lieu qui ressemble par certains côtés à la Cour des Miracles décrite par Hugo. En même temps qu’être solidaires, les gens s’y jalousent et se combattent sans merci.
Vous me direz, c’est un peu la faute des partis socialistes qui se sont empressés de jeter aux orties ce pourquoi ils étaient socialistes, fondant ainsi un nouveau parti de droite espérant, on ne sait trop comment, « gauchir » l’électeur qui vote sans savoir pour qui, ni pourquoi ?
Oui, mais s’ils étaient restés socialistes, le vol d’étourneaux eût été si peu étoffé qu’on en aurait été tout réjoui sous les arbres de nos boulevards.
Avant d’écrire que les électeurs sont des imbéciles et qu’il conviendrait de leur enlever le peu de pouvoir du vote, mettez-vous à la place du votant qui attend de l’opposition qu’elle change du tout au tout la politique quand elle sera aux affaires. Surtout la gauche qui promet plus que la droite, peut-on dire, puisqu’elle se présente comme une solution moins désespérante. Alors que, de Di Rupo à Michel, on a l’impression que c’est blanc bonnet et bonnet blanc.
Reste l’impression fâcheuse de cette démocratie en quenouille. On a remplacé les notables de l’ancien temps par d’autres notables dont la seule différence est qu’ils paraissent plus modernes, plus appropriés, liftés par des écoles d’esthétique et de marketing.
Le langage moderne diffère de l’ancien. Il est plus étudié et adapté à l’air du temps. Par l’effet du mépris de l’arriviste qui parle aux gens, la phrase est courte, les mots sont simples et le sens est insipide. Et cependant cela rend le batteur d’estrade sympathique et efficace. Le notable au pouvoir s’empresse au moindre accident, à la moindre catastrophe dans les chapelles ardentes ou dans les hôpitaux, monte sur des estrades pour exprimer la compassion de la nation. Mais il ne parle de solidarité que dans ces uniques circonstances avec l’espoir que les gazettes amplifieront sa « grandeur d’âme ». En réalité, il s’en fiche bien du malheur des autres, puisqu’il reste de marbre dans le mystère de son cabinet devant la misère de ceux qu’il exclut du chômage, de ceux qui sont sans travail et même de ceux qui renoncent aux soins médicaux élémentaires faute d’argent.
Il s’est fait une spécialité de ne se sentir responsable de rien. Souvent, quant à la législature suivante il est remplacé par d’autres notables, il les accuse de ses propres insuffisances. Duplicité, sans doute, mais c’est surtout la conviction qu’il est innocent à jamais.
Le suffrage universel est bien malade, un peu parce que l’époque n’accouche que d’égoïstes qui veulent se gaver comme on fait croire qu’ils le seront tous et qui se retrouvent tout bêtement comme les cochons les pattes dans la mangeoire à se battre pour le dernier seau de mangeaille. La démocratie va mal parce que la fonction de l’élu n’est plus anoblie par le désintéressement. Le deal électoral donne accès à quelques métiers fort bien payés qui propulsent au sommet de la consommation bourgeoise et de la notoriété. C’est tout.