Tournée d’adieu.
C’est fou comme certains décès s’éternisent dans leur célébration. Il y a le principal intéressé qui trouve indécent de partir en toute discrétion et qui enregistre ses râles et ses soupirs dans une dernière représentation et ses proches qui témoignent de la volonté du défunt de vaincre la maladie, comme il a vaincu le scepticisme des premiers fans et la suspicion de la maison de disques pour la signature d’un nouveau contrat.
Seulement voilà, la mort ce n’est pas Polygram. Qu’on signe ou qu’on ne signe pas, c’est sans importance. Ce qui est mis en boîte peut ressortir un jour, le chanteur dans cette situation, jamais.
D’autres n’ont ni brillé au box office, ni en tournée mondiale, ils ne sont pas connus par eux-mêmes, ils se sont contentés de vivre dans l’ombre d’une célébrité et ne sont perçus des médias qu’après des calculs comparables à ceux des astronomes qui viennent de découvrir une neuvième planète du système solaire. Parfois, c’est la vedette qui s’en charge par amour ou pour faire comprendre à l’autre qu’il ne devra jamais perdre de vue que c’est par le reflet de la vedette qu’on le connaît. On a même vu un ancien de Madonna survivre en débutant une carrière d’amant éconduit !
Les uns et les autres pour avoir droit aux sunlights une dernière fois doivent nécessairement mourir un jour creux. Décéder sur la côte d’Azur le 7 janvier 2015 en plein attentat à Charlie Hebdo ou le 13 novembre 2015 à l’Île Saint-Louis au moment du carnage au Bataclan, même si on a tourné dans vingt films « qui ont fait date dans l’histoire du cinéma », obtenu un Oscar et un César, on risque de tomber en troisième page dans les avis nécrologiques comme un vulgaire péquenaud.
Comme dans toute carrière, pour la bien finir, il faut de la chance.
Dans les jours creux, tout est possible. On a vu resurgir dans l’actualité quelqu’un qui s’était retiré depuis trente ans en Ardèche. La jeune génération ne connaissait même pas son existence.
Alors, on musarde, on revient en arrière sur la belle carrière « trop tôt arrêtée par la volonté de l’artiste », alors que c’était l’impresario qui ne trouvait même plus l’opportunité d’un concert à Bayonne ou à Trou-les-Bains.
Le spécialiste de la télévision en matière de nécrologie se déplace en personne et une grande interprète chante un dernier refrain repris par la foule.
Le mort revit pour ainsi dire « dans le cœur des Français » et une grande photo du mort jeune rappelle comme il était beau et aimé des foules.
Ces jours derniers, un mort par reflet a été enterré en toute indiscrétion par la volonté du mort et de la vedette. Dans le showbiz les grandes douleurs ne sont jamais muettes. Rien n’a été épargné au téléspectateur pour le spectacle, même le générique donnait encore au défunt la covedette avec la vedette elle-même puisque le scénario de l’enterrement, jusqu’au moindre détail avait été mis au point par le disparu de « la première » qui devait en même temps être la dernière.
Tout fut admirablement interprété, selon le prescrit du script. Tout le monde était maquillé, sauf la vedette devant la bière. Le visage peint du décédé avait un air de jeunesse, luisant rond et lisse qu’on aurait dit un pain sortant du four.
Était-ce de la volonté du défunt, une dernière vacherie à l’épouse bien-aimée, celle-ci toute grise sous la voilette noire avait l’air d’être la grand-mère de celui qui partait.
L’auteur et metteur-en-scène aurait dû prévoir l’effet macabre d’un non-maquillage sous les spots qui rendent déjà tellement blafards ceux qui croient pouvoir se passer d’un passage au maquillage.
Pour le reste, tout fut parfait. Rien à redire.
Je me suis toujours demandé pourquoi certaines grosses vedettes se font enterrer en deux fois, une pour les hommages publics et l’autre « dans la plus stricte intimité » pour la famille, alors que souvent à la deuxième fois, il y a autant de journalistes que pour la première. C’est sans doute par soucis du détail, la première, c’est la générale et la deuxième c’est pour la tournée en province. Peut-être aussi est-ce l’ego trop botoxé à l’étroit dans le cercueil, au point qu’on doit s’y prendre à deux fois ?
Ces manifestations bobo ont encore un autre mérite, elles illustrent bien l’axiome « on est vraiment peu de choses », quand après le reportage on se regarde dans une glace avec la certitude que dans notre cas, on est encore bien en-dessous de la réalité.