À dénonciateur heureux, cohabitant malheureux.
Ce petit dialogue peut arriver n’importe où.
– Bonjour. Police du quartier.
– Oui, bonjour.
– Nous faisons une enquête sur Alphonse Apiez et Marjorie Patoujour.
– C’est qui ?
– Ils ont des domiciles différents, mais ils vivent sans doute ensemble. Ils occupent un appartement à votre étage. Vous pouvez confirmer ?
Ce petit dialogue comme celui-ci, nous risquons de l’entendre quelquefois.
La police agit sur dénonciation pour traquer certains chômeurs qui tombent sous les règlements concernant la cohabitation. Ce n’est pas neuf. Cependant quelques questions méritent d’être posées.
Est-ce sur plainte du FOREM qu’un juge d’instruction lance une procédure et charge la police d’une enquête ou est-ce sur une initiative de la police mandatée par les fonctionnaires traitant du chômage ?
Mon petit doigt me dit que le dépistage de cette infraction est dans les attributions des fonctionnaires qui peuvent dorénavant requérir la police aux fins d’enquête.
C’est presque toujours une dénonciation qui alerte les pouvoirs publics.
Le caviardage n’est pas encore entré dans les mœurs en Belgique, nous n’avons pas le patriotisme lyriquement attaché à nos personnes comme les Anglo-saxons qui appellent ce genre de dénonciation « To nome and shame » (nommer et couvrir de honte). Certes, la lettre anonyme et la dénonciation haineuse on connaît. C’était même une satisfaction de la Gestapo durant la guerre de voir combien les boîtes à lettres regorgeaient de dénonciations. Mais, c’était quand même une minorité de Belges. Ils écrivaient abondamment, voilà tout.
Et voilà que le gouvernement Michel remet la dénonciation à l’ordre du jour et en fait un geste civique ! Charles serre la vis et traque les tricheurs, personnes sans emploi avec de minuscules revenus qu’on veut restreindre encore. On devine Bart De Wever attendri dire la gratitude du « peuple » flamand au premier ministre.
On y met le paquet, on mobilise la police ! Elle aurait mieux à faire, comme s’occuper de traquer le terrorisme, ne serait-ce qu’en « bullant » aux endroits stratégiques.
Le mouchardage, tel un acte patriotique, sert en réalité à stigmatiser les chômeurs par ceux qui potentiellement peuvent le devenir un jour.
Désigner les fraudeurs aux allocations, parfois sans preuve ou sur des on-dit, pourrait aussi être considéré comme une plainte calomnieuse si l’anonymat n’était pas garanti par l’administration et si les chômeurs avaient les moyens de déposer une plainte et prendre un avocat.
Cette offensive sur ordre des autorités n’est pas seulement destinée à « l’improvment » mais à planter le couteau de la discorde parmi les citoyens les plus fragiles et suffisamment malheureux comme ça.
C’est d’autant scandaleux que sur le temps qu’on essaie de grappiller quelques centaines d’euros de-ci, de-là, même si à la fin cela pourrait faire une petite pelote d’un million ou deux, on laisse filer les gros fraudeurs entre les mailles d’un filet de moins en moins bien tenu par des fonctionnaires pourtant spécialisés dans le gros gibier.
Enfin, puisqu’on a fait de la pub pour le mouchardage patriotique et que sans doute on obtient des résultats, pourquoi alors ne pas étendre la formule aux personnels des entreprises ? Il y a sans doute des patrons et des fondés de pouvoir qui doivent s’en mettre pleins les poches en toute impunité et en toute illégalité.
Mais non, a priori, les entrepreneurs sont tous honnêtes, sauf de temps en temps un type qui se fait prendre. Du coup toute la classe politique et les entrepreneurs regardent ailleurs. À la limite, le fisc transige, les finances acquiescent et le public ne connaît rien de la transaction qui supprime l’instruction. L’affaire est close, sur le temps que l’affaire du chômeur pourrait aller jusqu’en correctionnelle.
– Il s’en fallut de peu que la canaille eût nos privilèges (un baron du régime en séjour à Knokke).