Insomnies à Nuits-Debout.
Depuis que Nuits Debout a exclu Alain Finkielkraut de la libre discussion à Paris, il y a quelque chose qui me gêne dans ce mouvement spontané.
Non pas que j’aie de l’estime pour le nouvel académicien et encore moins que je sois sur son tempo politique, mais en privant de parole quiconque souhaite s’exprimer, c’est agir de la même manière que les médias.
Du point de vue belge, ce serait cautionner la politique de la RTB et de RTL invitant toujours les mêmes (dans le jargon, cela s’appelle les bons clients).
Il est possible qu’entrant par un autre bout de la place, Finkielkraut aurait peut-être participé à des discussions avec des débatteurs intelligents.
Ou alors, tout cela serait un théâtre qui cacherait une récupération partisane camouflée derrière une absence de pouvoir temporaire.
Encore qu’une pensée générale touchant un pouvoir économico-politique d’une Europe foncièrement de droite ne me gênerait pas, quand bien même ce serait le seul objectif de Nuit Debout.
Les vieux renards comme Cohn-Bendit et Goupil sont persuadés qu’il y a quelqu’un derrière ce mouvement spontané, sinon, qu’il y en aurait même plusieurs. C’est possible tant une récupération peut toujours revaloriser un parti d’extrême gauche dont sa principale préoccupation, avant de partir à l’assaut de l’Élysée, c’est de savoir avec quel effectif ?
Il est possible également que de ce bouillonnement naisse un nouveau parti partageant le destin des autres, se taillant une place dans le périmètre des gauches anti-PS.
En Belgique, on affecte un parisianisme d’« habitués » qui risque, comme en couture, d’être démodé le mois suivant.
L’impression qui ressort de la foule populaire est différente.
Tout passif et tout doux qu’il est, le public belge intériorise trop ses révoltes et se ronge les sangs de ne pouvoir les exprimer. Il s’impatiente de remplacer les faire-valoir du système. Il n’a pas appris à dire les choses. On l’humilie par la technique du langage des professionnels du bien dire. On l’a vu trop souvent bafouiller lors des émissions bidons de la RTBF et de RTL le dimanche à l’heure de l’apéro. Si bien que les directions préfèrent des représentants d’associations ou de syndicats, censés le représenter. On a moins de surprise.
On peut se dire « bon sang, comme l’invité inhabituel est mauvais !», alors que jactaient dans la satisfaction de soi, nos illustres permanents des plateaux.
Tous les invités occasionnels sont par avance les dindons de la farce.
On ne leur demande qu’une chose : se taire après leurs deux minutes de gloire, alors que les politiques s’épanchent des quarts d’heure durant.
Peut-être n’avons-nous pas « le génie » des Nuits Debout parisiennes ou que nous avons trop d’impatients dans la jeunesse, surtout estudiantine ?
C’est dommage parce que les souffrances sont réelles et que les victimes du système économico-politique ont beaucoup à nous apprendre.
Le peuple mérite beaucoup mieux que ses dirigeants. A contrario de la pensée convenue, le peuple est beaucoup plus sincère et intelligent qu’on ne le croit en haut-lieu. Les gens « du dessus » tournent en rond dans un monde qui ne concerne en rien les vies ordinaires.
Je crains fort que les Nuits Debout ne le comprennent pas non plus, mais au moins, auront-elles essayé.
Et c’est déjà méritoire !