La « faim » et la fin.
Bien plus intéressante est la réaction du « Belge moyen » indigné que Hedebouw revienne sur la lutte des classes à propos de l’affaire Dutroux, bien plus que les gloses indignées, satisfaites, moqueuses à propos du burkini.
Je n’en reviens pas de l’escamotage du fait historique de la prise de contrôle de la démocratie par la classe bourgeoise, dominante depuis la fin de l’Ancien Régime, dont il faut bien dire qu’elle fut aux premières lignes pour mettre à bas le système pour créer le sien. Et comme elle a magnifiquement manipulé les Sans-culottes ! Depuis, les descendants de ces derniers ne s’en sont pas encore remis.
La preuve, l’invective à la bouche, voilà les classes inférieures qui se portent aux avant-postes de la bourgeoisie pour faire le travail à sa place et injurier ce pauvre Hedebouw, l’anathème suprême étant « populiste ».
Ce n’est véritablement qu’à partir de 1831 que la Bourgeoisie belge s’est saisie du pouvoir. La période orangiste en réaction à la période révolutionnaire a été de transition. La noblesse avait encore un sens et pouvait croire le temps se figer par la conduite inchangée des grands propriétaires terriens, tous à particules.
Puis vinrent les maîtres de forges, ranimant les sangs bleus, construisant une société plus mélangée, transposant petit à petit l’adoration d’un Dieu à un autre, passant du divin à l’argent, sans que les populations laborieuses s’en aperçoivent, faisant de leur état une sorte de paradis accessible à tous à condition de trahir la classe d’où l’on vient, pour renforcer celle à laquelle on accède, à la seule condition, hormis le mariage bien doté, de monter une affaire et la faire fructifier.
En 2016, rien n’est vraiment différent. Le bourgeoisisme ne s’affiche plus de la même manière, la franche la plus touchée par la crise et le progrès, cette classe des petits commerçants et artisans qui pouvait tout attendre de la société, n’attend plus que bas revenus et faillites sociales. Le sieur Bacquelaine aura beau venir à son secours, prodiguer des soins intensifs sous forme d’aides sociales, qu’il retire du reste à la catégorie en-dessous, rien n’y fera. C’est un morceau du clan bourgeois de la lutte des classes qui quitte inexorablement la classe dominante et n’a pas encore conscience de sombrer dans le prolétariat.
C’est la première fois qu’une mutation économique projette durablement un fragment de la classe dominante « hors les murs ».
Il n’empêche que malgré ce revers, la classe dominante est toujours là. Elle a comblé les vides par le bourgeoisisme accéléré de la classe politique à haut revenu. Il n’y a pour ainsi dire plus que l’extrême gauche qui soutient les classes inférieures, le parti socialiste ayant fait le pari qu’au contraire l’accélération du bien-être produirait une dissolution de la classe ouvrière dans la classe bourgeoise, ce que les événements contredisent tous les jours. Et c’est ce qui fait son drame.
Le travail actuel du gouvernement tient dans ce pari fou d’assimiler les lois économiques, par essence artificielles, aux lois de la nature.
On en voit tout de suite l’intérêt et c’est ce qui se passe dans les réactions du pouvoir à la mondialisation et à l’appauvrissement mondial des classes inférieures. Michel place la Belgique « dans le concert des Nations » et en disant cela s’exonère de toute action pouvant contrecarrer le processus économique « étendu à tous les continents ».
Cette position est géniale pour la société bourgeoise en ce sens que cela la déculpabilise des catastrophes qui s’annoncent. En cas de malheur, elle espère bien poursuivre son activité de classe dominante et conduire comme jamais la société belge qui résultera des désastres annoncés, sans que personne n’ait le moindre doute sur sa responsabilité dans le chaos final.
Pour cela, il faut au moins que les discours convainquent le niveau en-dessous : la société belge est un tout homogène et solidaire !
Ce n’est pas tout de dire que nous sommes égaux devant la loi et que tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Il faut le démontrer par des faits ou faire semblant de le démontrer par de faux arguments.
Par des faits cela est impossible, donc la classe bourgeoise dominante ne peut le faire que par des mots.
Cela signifie, avec les politiciens de pouvoir, qu’elle fera vivre les économistes, les philosophes, les écrivains et les journaux sur une portion de la plus-value que la productivité dégage, à condition qu’ils reflètent dans leurs études, œuvres diverses et écrits, une idéologie individualiste, essentiellement tournée vers la destruction systématique de la notion de classe.
Tout autre porteur d’une autre pensée pourra toujours se brosser pour revendiquer un strapontin contradictoire. Les blogs sont dérisoires. Ils n’apportent qu’une infime portion d’eau au moulin. Seuls ceux qui sont « dans le vent » ou même qui, sans l’être, véhiculent la pensée bourgeoise, auront droit à des égards, voire des classements. Et ils sont le plus grand nombre !
Alors, démocratie confisquée : oui. Suffrage universel biaisé : oui.
Seule issue, c’est hélas historiquement celle qui prévaut dans les cas extrêmes, que le cœur de l’État, c’est-à-dire le bourgeois dominant, ne sache plus répondre à une grande catastrophe économique et que l’organisation de la société qui en découle ne soit plus capable de nourrir les populations (1).
Marx avait prévu cette alternative ultime. Il en avait déploré le malheur et l’issue incertaine. Il avait raison. Mais sans la souhaiter, il est évident que les esprits lucides doivent se tenir prêts à réagir à cette éventualité.
---
1. La défaite de 1918 avait plongé l’Allemagne dans ce scénario apocalyptique. Ce n’était pas une crise économique généralisée, mais circonscrite à un territoire vaincu. On a vu ce qu’il en est advenu. La fin de la République de Weimar et l’avènement d’Adolphe Hitler.