La rue des allocs.
Enfin un sujet important avant la rentrée. Fallait-il montrer le docu-réalité "La rue des allocs", sur M-6 ?
À juger par les remous, l’affaire est délicate. Le CSA va instruire le dossier à la suite de plaintes des téléspectateurs. Des médias et des associations accusent Stéphane Munka, le réalisateur, de caricaturer et de stigmatiser la détresse sociale, en l’occurrence un quartier d'Amiens dans la Somme.
Apparemment les cas traités sont réels et les personnages disent sans censure ce qu’ils pensent. Mais peut-on mesurer la détresse sociale en montrant des gens qui vivent dans la pauvreté en les choisissant de manière délibérée parce qu’ils sont « de bons clients » comme on dit en télé ?
Huit millions de personnes pauvres en France, huit millions de détresses différentes. Ne risque-t-on pas, en sortant quelques cas télégéniques, de passer sous silence des pauvres dignes qui ne se résignent pas, des détresses muettes, des grandes âmes qui ne se révéleront jamais, des profondes solitudes, des désespoirs, des résignations, des exaltations, le gâchis des talents perdus, etc… ?
Stéphane Munka n’est pas Dostoïevski. À l’issue de ce premier épisode, certains vont se répandre en propos acides contre ces buveurs de bière qui ne fichent rien d’autre que passer leurs jours à boire en regardant la télé ! Certains seront sans doute émus de l’abnégation d’une femme très pauvre qui aide plus pauvre qu’elle.
Au point où en est la bêtise quasiment générale, c’est très délicat de faire un reportage de ce type qui n’aurait à mon sens qu’une mission : celle de montrer la pauvreté dans son inacceptable parcours dans une société où s’étalent la suffisance et la morgue des riches.
Mais pour cela, il aurait fallu en corollaire un reportage sur l’extrême richesse et que des riches se prêtent à ce jeu, la coupe de champagne à la main et le cul posé sur le transat d’un yacht mouillé dans le port de Cannes.
Alors, on aurait crié au populisme (Gerlache n’est pas encore rentré de vacances ?).
L’Humanité n’est pas tendre pour le reportage. « …la caméra "aime à les voir souvent bourrés. Le pauvre boit, et de la bière de mauvaise qualité, il faut le savoir." Le quotidien Libération mercredi titrait "les pauvres aiment l'alcool et le tuning".
Les intervenants du premier épisode sont filmés canettes de bière à portée de mains, dans un état proche de l'ébriété, c’est vrai. On voit d’ici la contre-image du riche bourré et se tapant une ligne de coke, comme on le voit au cinéma. Et ça aussi, ce n’est pas de la fiction. Malgré les protections que l’argent permet, on en voit régulièrement qui sont déférés devant les tribunaux, surtout les artistes, non pas qu’ils soient plus chargés que d’autres, mais ils sont plus médiatisés, donc capables de rassembler plus de curieux.
Autre exemple, dire que le chômage détruit", c’est vrai. Mais l’argent aussi moralement et physiquement. Les images banales du désespoir", des gens marginalisés, privés d'une vie active, d’un côté, d’un autre les oisifs bourrés et qui fichent leur vie en l’air par désœuvrement existent aussi. Sauf et là la différence est énorme et j’attends toujours un reportage sur ces comparaisons, la pauvreté est un état que l’on subit et dans lequel on n’entre pas volontairement, tandis que le riche qui ne fait rien de ses dix doigts est un parasite autrement plus redoutable. Il a souvent usé de sentiments bas et médiocres pour s’élever au-dessus des autres, sa dépravation est volontaire et son oisiveté préméditée. Il a voulu son état et aspire à y rester. Le malheur, c’est que la société sanctionne plus volontiers le premier et que le second sait garder ses distances et a les moyens de se mettre à l'abri des regards indiscrets.
À la réponse "Comment s'en sort-on avec moins de 1000 euros par mois ?" on peut dire " on ne s’en sort qu’en vivant de privation et de petits expédients".
Prenons le cas d’un pensionné belge, un des plus mal loti d’Europe. Savez-vous qu’un isolé qui perçoit 1200 € de pensions et n’est donc pas en-dessous du seuil de pauvreté, l’est en réalité ? L’Office des pensions au taux officiel lui retient tous les mois entre 30 à 50 €. Mais l’État n’est pas gêné de lui réclamer autour des 1000 € d’impôts complémentaires à la fin de l’année, faisant ainsi dégringoler le pensionné en-dessous du seuil de pauvreté.
Malheur à lui si sa santé est médiocre, s’il doit recourir à des soins médicaux importants et ce malgré les efforts des mutuelles pour alléger ses difficultés.
Autant vous dire que les lunettes, les appareils auditifs et la dentisterie, c’est souvent impossible, d’où la saillie honteuse de François Hollande à propos des sans-dents.
L'Humanité redoute que certains des personnages soient "désignés à la vindicte publique comme responsables de leur malheur" et moi aussi, connaissant le peu d’intérêt pour les choses essentielles qu’il faut savoir sur l’économie et la situation de la société, de la lutte des classes et du mauvais ménage de l’économie libérale avec la conscience, l’honneur et le devoir de s’intéresser aux autres. Sans un minimum de connaissances, comment comprendre ?
Bref. Accueil mitigé, doutes sérieux sur la manière dont le sujet est traité, mais une chose est sûre, il vaut toujours mieux parler du malheur plutôt que d’éviter le sujet.
Maintenant que les braillards imbéciles se déchaînent, tout dépendra de la place que leur feront les médias dans la controverse qui s’ouvre.