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Les corvéables.

Des industriels – les débuts ont eu lieu aux usines d’Henry Ford USA – pour rendre le travail plus efficace, l’ont parcellisé, au point de faire un robot d’un ouvrier et un boulot de merde d’un travail intelligent.
C’est ainsi qu’un ouvrier sur deux et un employé sur trois estiment aujourd’hui que le travail qu’ils font est plus pénible parce que plus idiot qu’avant.
Assez curieux, même ceux qui n’ont jamais été de la période d’avant la généralisation de la parcellisation des tâches dont les débuts datent des années cinquante (le fordisme est de 1908), paraissent regretter des fonctions pleines et créatives de l’artisan concevant son produit de A à Z.
Cette société finalement n’a que faire des humains qui la composent puisque l’efficacité, la rapidité et la productivité contrarient le plaisir et l’intérêt de « penser » et d’exécuter l’ensemble des tâches. Ce n’est pas en déshumanisant les tâches qu’on les rend attractives.
Julien Brygo et Olivier Cyran sont les auteurs d’une série de reportages réunis dans un livre au titre évocateur « Boulots de merde ! Du cireur au trader », dont la préface remet sous les feux de l’actualité, l’accablant mépris pour l’homme, des enthousiastes du système économique actuel.
« Pas un jour sans que vous entendiez quelqu’un soupirer : je fais un boulot de merde. Pas un jour peut-être sans que vous le pensiez vous-même. Ces boulots-là sont partout, dans nos emplois abrutissants ou dépourvus de sens, dans notre servitude et notre isolement, dans nos fiches de paie squelettiques et nos fins de mois embourbées. Ils se propagent à l’ensemble du monde du travail, nourris par la dégradation des métiers socialement utiles comme par la survalorisation des professions parasitaires ou néfastes.
» Comment définir le boulot de merde à l’heure de la prolifération des contrats précaires, des tâches serviles au service des plus riches et des techniques managériales d’essorage de la main-d’œuvre ? Pourquoi l’expression paraît-elle appropriée pour désigner la corvée de l’agent de nettoyage ou du livreur de naans au fromage, mais pas celle du conseiller fiscal ou du haut fonctionnaire attelé au démantèlement du code du travail ?
» Pour tenter de répondre à ces questions, deux journalistes eux-mêmes précaires ont mené l’enquête pendant plusieurs années. Du cireur de chaussures au gestionnaire de patrimoine, du distributeur de prospectus au « personal shopper » qui accompagne des clientes dans leurs emplettes de luxe, de l’infirmière asphyxiée par le « Lean management » au journaliste boursier qui récite les cours du CAC 40, les rencontres et les situations qu’ils rapportent de leur exploration dessinent un territoire ravagé, en proie à une violence sociale féroce, qui paraît s’enfoncer chaque jour un peu plus dans sa propre absurdité. Jusqu’à quand ? » (fin de citation)

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Quoique enfonçant une porte ouverte, ce livre rappelle quand même à des réalités, qu’ont tendance à oublier ceux qui voient dans l’expansion extraordinaire des « progrès et nouveautés » le formidable essor de l’économie à l’échelle de la planète. Ils ignorent ainsi deux éléments essentiels : la réduction en esclavage de milliards de gens et la destruction de la nature avec les espèces vivantes qui la composent.
Les temps de la folie généralisée ne sont pas encore à l’heure des vrais bilans, ceux de Wall Street, transitoires, n’auront été qu’une falsification comptable de l’Histoire.
Le concept de "bullshit jobs" désigne la prolifération d'emplois dénués de sens, favorisée par la bureaucratisation généralisée de l'économie. À tous les éléments dégradants des métiers, s’ajoute la dimension de précarité de ceux-ci. L’absolu besoin de manger fait que, les pires conditions de travail sont acceptées et même désirées.
Cette société « behavioriste » pousse le sadisme jusqu’à user de cette nécessité pour descendre les conditions de travail jusqu’à l’inimaginable, dans une comptabilité perverse entre la capacité humaine d’endurance et la part que le travailleur donne de celle-ci à l’entreprise. Pour ce faire, les entrepreneurs usent de la science ergonomique aussi bien que celle de la carotte et du bâton qui s’apprennent dans les masters du commerce et de la politique.
Le dernier must est l’ubérisation du travail par la propagande à la « prise de responsabilité individuelle » avec le statut d’auto-entrepreneur, en flattant un sentiment de liberté et le plaisir retrouvé d’être le responsable de ce que l’on produit. En réalité, on nous conduit à se flageller. Ainsi, l’araignée toujours au centre de la toile n’aura plus besoin d’emballer elle-même ses victimes pour passer l’hiver. Les victimes s’en chargeront.
La préquantification du temps de travail est une autre technique pas très récente. Ce qui l’est, c’est sa généralisation. C’est une source féconde de pressurisation du travailleur. Le principe est d’une simplicité lumineuse : l’employeur quantifie en amont le temps de travail qu’il juge nécessaire à l’exécution d’une tâche, et tant pis pour le salarié incapable de s’y tenir. Les systèmes Parker et assimilés à l’origine des chaînes de montage, avec l’ergonomie au service de la rapidité des tâches avaient montré la voie. Si la durée effective de travail sort des clous fixés par le patron, ce n’est évidemment pas parce que celui-ci a opéré un calcul étriqué ou malhonnête : cela prouve simplement que le travailleur n’est pas assez efficace ou qu’il a un poil dans la main. En aucun cas il ne pourra réclamer le versement des heures supplémentaires correspondant au travail réellement fourni.
Du grand art pour une merde infinie, que la faiblesse de la démocratie explique en partie.

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