Ils sont partis !
À croire qu’on a rêvé, qu’il n’y avait pas de graves distorsions entre les riches et les pauvres, les problèmes n’avaient été créés que pour passer le temps.
Le mois de juillet sonne la récré dans l’espace infini, hors des préaux et des cours d’école.
Nos élites, grandes voix, gros budgets, grosses voitures, gros besoins, une fois dispersées, côte d’Azur, grand large, par le canal du Midi, les dossiers sont vides et le calme est revenu.
Pourtant les faubourgs grouillent des gens qui ne partent jamais en vacances, dont les budgets annuels tiendraient dans une semaine de salaire d’une éminence.
Ceux-là, évidemment, ne comptent pas. La preuve, il ne se passe plus rien puisque la démocratie est partie avec ceux qui la dirigent.
C’est le festival estival des remplaçants, ceux qui espèrent qu’à la télé et dans les grands journaux, on leur fera de la place en belle page un jour, pour être dans le futur, auréolé d’une « carrière », dispenser le bienfait de leur savoir aux téléspectateurs de C dans l’air.
Un pied du côté de la force obscure, l’autre chaussé en Stefano Bemer, ils montrent en vitrine combien ils aimeraient rejoindre les élites par des envolées d’un conformisme parfait, d’une pensée bien libérale toute vouée au culte du pognon.
La télé les engage pour ne pas laisser le matériel hors service, dans la peur de voir les câbles rouiller. Le parlement, sans état d’âme, lui ne garde personne. On ne remplace pas les irremplaçables. On les espère toujours, dans tous les cas de figure.
Envolés les mirlitons de RTL, dispersés les éléates de la RTBF, restent les gazetiers qui s’affairent dans les réserves à la recherche d’articles passe-partout, et le public hébété qui survit entre quatre et cinq grâce au Tour de France.
La vacuité de l’été permet la découverte du minuscule, de la fourmi sur une feuille du noisetier à la nullité confondante de nos élites.
Oui, vraiment, ils auraient intérêt à ne pas trop fuguer dans les beaux espaces réservés pour eux de la planète, car le tragique, une fois disparus de l’écran, saute aux yeux de ceux qui restent, ils ne servent pas à grand-chose !
Évidemment, il faut bien qu’ils dépensent à quelque chose les sommes au-dessus de nos moyens que nous leur prodiguons avec profusion. Ils devraient pourtant savoir qu’une fois partis, le stress de leur présence nous manque.
Oui, le peuple masochiste a besoin d’eux.
Cela ne satisfait qu’à demi de savoir où ils sont en villégiature, ce qu’ils mangent, s’ils ont une nouvelle maîtresse et comment ils se sont débrouillés pour que leur femme se gode ailleurs.
Plus discrets sont évidemment ceux qui piquent directement dans nos portefeuilles de quoi survivre jusqu’en septembre. Ils ont des électeurs à surveiller, des promesses non tenues à faire oublier, des ennuis judiciaires à enterrer sous des tonnes de bonnes intentions. Pourtant, on les sent relâchés, libres de nos entraves, repeindre leurs volets de leur maison de campagne. Tout ce qu’ils désirent, c’est qu’on les oublie un moment, comme la plante en pot qui ne refleurira qu’en automne.
Ce n’est qu’à partir de la dernière semaine d’août qu’ils appelleront leur chef de cabinet et qu’ils reprendront peu à peu l’attitude du notable et la superbe de l’intellectuel qui sait tout sur tout le monde.
D’ici là, les voilà arsouilles, libérés du col cravate, amateurs de jurons et de l’accent traînard qui fut le leur jusqu’aux grandes écoles.
L’électeur bon public les attend à la rentrée, un œil sur le panneau d’affichage du théâtre pour savoir quelle pièce ils vont reprendre.
On les redemande, même à l’étranger où ils sont acclamés comme chez nous. En attendant les spectacles et les jeux, le seul plaisir du spectateur resté sur place, c’est la branlette, le fantasme qu’ils incarnent n’étant pas encore taxé.