Deux drôles d’oiseaux.
En vertu de quelques faits simples, il s’avère que parmi les célébrités que nous envoyons au Parlement, certaines sont des personnes peu honorables.
Ces faits sont inhérents à la nature humaine, lorsque celle-ci se trouve projetée en façade à la suite d’un pari qui a réussi, comme les élections par exemple. Livrée à la curiosité publique, la personnalité peut se révéler en même temps à elle-même, suivant le dicton « l’occasion fait le larron ». Le citoyen ordinaire serait écrasé par les responsabilités nouvelles, alors que d’autres y trouvent les moyens d’ajouter du bonus à leur habitude de vie.
Ces différences tiennent à peu de choses au départ. L’idée que l’on se fait du travail, de la façon dont il vous honore ou vous déshonore et à l’argent que le système vous donne en échange ou refuse absolument à vous concéder, en vertu d’une « utilité » qui fait défaut.
Les tableaux de Picasso ne valaient rien à l’époque du bateau-lavoir. C’est, par la suite, une spéculation sur une valeur supposée qui en a fait monter le prix.
Charles Michel ne valait pas grand-chose comme avocat. Sa valeur supposée en a fait monter le prix, par le jeu décisif de la notoriété qui n’est même pas celle de l’électeur, mais d’un père attentif, lui-même sous les projecteurs depuis plus longtemps. Par le même jeu d’ombre et de lumière. Louis possédait des leviers utiles à Charles. Quel est le père qui refuserait une aide à son fils ? Mais, ce faisant, il commettait une faute et rendait illusoire l’égalité entre les citoyens.
La définition des valeurs et notamment celles du patriotisme, de l’éducation et de la morale, est encore plus étrange que celle qui vous donne du pouvoir et l’argent (1).
Je ne comprendrai jamais pourquoi un premier ministre est plus honorable qu’un SDF, qui se tue à petit feu à la canette de bière.
Ce sont aux signes extérieurs de reconnaissance pour l’un et le mépris outragé pour l’autre que l’on s’aperçoit que l’Homme nu n’est pas grand chose dans le décompte social de l’estime et de la mésestime. La démocratie dont le mot vient à la bouche à tout propos de l’un, est vécue à sa juste valeur par l’autre, le premier n’ayant aucune crédibilité puisqu’il en a fait un commerce, son commerce !
Parfois, le roi est nu… mais c’est le roi. Trahi par ses filles, le roi Lear est misérable, mais il reste le roi.
La distinction, dirait Bourdieu, tient au costume. On voit tout de suite qui est le premier ministre et qui est le SDF, déguisés l’un en pauvre, l’autre en riche. La confusion commence.
Ou alors, envisageons-la vie de l’un comme une entreprise commerciale tenue par un boutiquier qui vend sa présence. Boutiquier chanceux, son fonds de commerce ne lui incombe pas, son rôle se bornant à équilibrer les recettes et les dépenses, pour un patron intransigeant : la finance. La finance est une figure emblématique qui n’est perçue nulle part de la même manière, mais pourtant elle donne gracieusement du grain à moudre à quelques riches minotiers anonymes et est la seule réalité dans la démocratie.
Le SDF lui ne vend rien. Il quémande. L’agressivité de l’autre lui vaut des éloges, celle du SDF, la prison. Le nuisible des deux est honoré. Il a un beau complet gris. Il n’a pas faim. Il parle bien, même si ce qu’il dit n’est pas vrai ou est une vérité « arrangée ».
Le SDF sombre dans le renoncement d’être. La métaphysique, qui expliquerait son cas, le dépasse. Pourtant, il honore, sans le savoir, le premier principe qui veut qu’il y ait derrière tout sentiment et toute conviction, une aliénation : celle de la liberté.
Autrement dit en langage excessif, le salaud des deux est assurément celui qui le paraît moins. Il a à charge l’hypocrisie en plus et une absence de conscience d’avoir mal agi.
La notoriété justifie l’immoralité de qui n’éprouve aucun repentir. Le SDF dans ses états d’âme peut ressentir du repentir.
Du point de vue strict de la délicatesse, la nature psychologique du SDF est plus riche que celle de l’homme en vue. Elle nous est perceptible. L’autre est fermée et dissimulée en raison de la crainte du jugement collectif. Un ministre se dissimule par nécessité.
Évidemment, il n’y a pas de constat accablant en philosophie. Rodion Romanovitch Raskolnikov y trouverait mille manières d’expliquer son crime par le tranchant de la hache, son morfil, son poids, son équilibre par le manche. Le remord, dit Jankélévitch, n’est pas un principe moral, puisqu’il ne nous dit pas ce qu’il faut faire, mais ce qu’il aurait mieux valu ne pas faire.
L’enfer du ministre, n’est-ce pas le triste effort qu’il s’oblige à faire pour imiter l’image fausse que l’électeur se fait de lui ? Celui du SDF n’est-il pas de boire sans soif, jusqu’à ne plus percevoir la réalité du monde ?
J’en connais dès lors qui se venge sur le remord.
Selon Nietzsche, le remord est comme la morsure d’un chien sur une pierre : une bêtise !
Que dire pour faire comprendre comment l’accès au pouvoir rend salaud ? Sinon que la conscience reste muette au moment de l’acte et qu’elle n’agit qu’après coup !
A fortiori, la belle brochette de nos cinq gouvernements n’a qu’une seule conscience : la bonne !
Celle du SDF s’est noyée dans le trouble de l’esprit. C’est le roi Lear en guenilles.
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1. Personne n’a jamais vu, dans nos démocraties, un pouvoir qui appauvrissait son détenteur.