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Quoi, le peuple ?

Le peuple a si souvent nourri ces chroniques, que par souci d’honnêteté, il conviendrait de savoir, ce qu’il représente pour tout le monde ?
C’est là le problème, chacun a bien sa petite idée, reste que les idées mises bout à bout ne forment pas un tout harmonieux.
Pour être franc, je ne saurais le définir !
Quand Charles Michel en parle, des trémolos dans la voix et parfois avec une forme de mépris, sur le temps que d’autres le décrivent comme une foule vengeresse et d’autres encore comme une multitude entravée, nous ne savons à qui nous référencer ; mais il est certain que les incantateurs, les bonimenteurs et les philosophes ne parlent pas de la même chose.
Le peuple n’existerait-il que sous la forme d’une fiction performative et imprévisible ?
Michel ne fait pas de la métaphysique. Il est persuadé qu’il sait ce qu’est le peuple, puisqu’il a été élu ! Étrange réduction du peuple à la détention d’un pouvoir dévolu à un groupuscule !
Le peuple l’a moins choisi que son parti par le jeu subtil des places. Les partis sont des entités bizarrement représentatives du peuple. Ils s’octroient le droit de s’en distancer, au point de le nier en prétendant l’incarner ! Les politiques distribuent assidument des certificats d’authenticité qui feront des uns des héros et des autres des usurpateurs.
Personne ne saura jamais ce que le peuple pense souverainement de celui qui le dirige, pense à sa place et le fait souffrir « pour son bien ». L’élu serait un sage qui a la prescience de ce qui est bon pour « son »peuple ! En réalité, Michel et les autres sont des faussaires. Leur transcription des volontés du peuple, ils ne la puisent que de leur parti !
Le peuple est une sorte de divinité muette, tout le monde s’en dit issu. Certains parlent en son nom, dénonçant les traîtres et les condamnant au nom de la déesse, jusqu’à se désoler que ses propres sécrétions la dénaturent.
L’amour-répulsion des réformateurs contient un paradoxe : comment peuvent-ils exécrer une partie de la divinité, eux qui se revendiquent de tout le peuple ?
Ne sont-ils pas eux-mêmes ses déversements fécaux ?
C’est l’ambiguïté des « élites » du monde. Le sont-elles par le désir du peuple, ses bons gènes en quelque sorte, ou, par une prétention de comédiens, jouant « outré » sans le savoir ?

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On voit bien comme définir le peuple est embarrassant.
Les philosophes, dont pourrait faire partie tout citoyen hors parti, ont presque toujours magnifié le peuple. Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra, exprime une vérité profonde : L'État, c'est le plus froid de tous les monstres froids : il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : "Moi, l'État, je suis le Peuple." Alain, explique la pensée libérale à moitié « Le peuple, méprisé, est bientôt méprisable ; estimez-le, il s'élèvera.... », attendant dans sa deuxième proposition quelque chose qui n’arrivera pas et qu’on peut regretter.
Mais, il s’agit toujours des interprétations du peuple, sans le définir. Un peu comme un critique musical qui vanterait la voix de Caruso supérieure à celle de Pavarotti, tout en n’ayant les empreintes de la voix de Caruso que sur les premiers enregistrements de gramophone.
On la vu, on l’a même entendu, mais on ne sait pas qui c’est !
Pour le politique, c’est plus commode. Puisqu’il en est l’incarnation. Il a donc été conçu par la divinité. Le fils peut révéler la pensée de la mère. Il l’incarne. Ainsi, tout discourant, le politique façonne sa mère à son image. Le jour de l’émeute, il ne comprend plus. Ce n’est pas le peuple qui est là à le défier, puisqu’il est « le peuple ».
Et puisqu’il ne comprend plus, il avoue son incapacité à apaiser les émeutiers. L’issue du conflit ne fait pas de doute. Ce sera la répression. C’est-à-dire nier la partie du peuple qui lui échappe.
Nous en sommes là en 2018.
Il faut se résigner aux signes de l’existence du peuple par les distinctions de sens. Le premier est politique : démocratie, du grec ancien δημοκρατία / dēmokratía, désigne un régime politique dans lequel le pouvoir est « supposé » appartenir aux citoyens.
L’affirmation franche de la détention de ce pouvoir paraît difficile à cerner, contradictoire, voire improbable sous quelque régime que ce soit. Même à Athènes, à l’âge d’or de la démocratie, le pouvoir n’appartenait pas au peuple en son entier, alors comment aurait-il été « du peuple » ?
Le pouvoir politique doit être aussi juridique, ce dernier étant claironné par l’élite « séparé », ce qui fait tout le prix du système. Or, il n’y a rien de plus faux dans les faits, même si les termes qui l’exonèrent du politique ont un caractère sacré !
Le sens social (la plèbe ou plebs en latin) serait le bassin du peuple, une sorte de partie inférieure de la déesse. Qui dit partie inférieure dit dans l’ancienne acception honteuse « bassesse et dangerosité ». Cette base serait la plus dense physiquement, tout en étant la moins importante dans l’ordre « moral » des choses, entendez par la les responsabilités politiques associées au pouvoir de l’argent.
Et pour finir, le peuple est « nation » par association ethnologique. C’est une identité collective, certainement la plus visible que l’on peut presque toucher et comprendre. Les traditions et le folklore partagés en commun, mais aussi la crainte qu’un autre peuple pût perturber la vie de la Nation. Ethnos en grec, cette définition fut dans la confusion des balbutiements de l’ethnographie jusqu’à la moitié du XXme siècle appelée improprement « race ».
De ces approximations du mot « peuple » reste une dernière qui s’appelle la multitude. C’est une appellation très importante, puisque c’est le Plethos (pléthore) considérée sous le seul plan quantitatif, de laquelle naquit l’idée qui veut que le plus grand nombre règne par la loi sur la minorité. Cette règle-là ne nous vient pas de Platon, ni d’Aristote, mais de la Révolution française, les Grecs faisant semblant de considérer que les présents sur l’Agora étaient représentatifs de la majorité des citoyens. Ce qui était faux, bien entendu.
La Belgique est une démocratie par délégation de pouvoirs, suivant le même faux principe de l’Agora. À l’inverse des Anciens, ceux qui délèguent ne savent pas ce qu’ils délèguent : le pouvoir de penser et d’agir à leur place depuis un roulement d’individus en alternance, rarement renouvelés. Avec ce système, les citoyens passent du stade de l’immaturité leur vie entière, à celui du gâtisme de la fin.
Les seules sanctions possibles ne se font qu’en interne dans les partis à la suite du vote périodique des citoyens, sans aucune conséquence qu’infime, sur les politiques sociales et économiques.
Et pour cause, je ferai mienne cette hypothèse de Gérard Bras (1) selon laquelle en mettant en avant le sens juridico-politique du mot peuple « il contribue à masquer le déterminant social de la politique, à recouvrir les citoyens du voile de l’indistinction de leur condition sociale… il serait une abstraction juridique masquant la réalité de la lutte des classes ».
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1. Gérard Bras « Les voies du peuple – éléments d’une histoire conceptuelle » Edtions Amsterdam, 2018.

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