Black Blocs !.
Quand j’ai entrepris la démarche insensée d’avoir tous les jours un regard sur la politique et ses mœurs, je m’étais bien promis de m’exprimer sur n’importe quel sujet en restant vrai et honnête, quitte à me planter et parfois avoir honte et regretter, ce que j’avais écrit sans recul et dans l’exaltation du moment.
Les « black blocs » me posent problème, mais je ne me débinerai pas.
Philippe Poutou, candidat du Nouveau parti anticapitaliste à la dernière présidentielle, a justifié les violences du 1er mai en affirmant qu’il les comprend et qu’elles répondent à une autre violence, dont on parle moins, celle du pouvoir. Je peux comprendre ce qu’il dit. Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière) ne s’est pas encore exprimée ou – plus vraisemblablement – les médias ne lui ont pas demandé son avis, si bien que je ne connais pas sa réaction.
On ne peut pas citer l’émeute de la manif du 1er mai à Paris, sans penser à l’Europe, serait-elle en train d’essaimer ses contestataires ?
Ce qui échappe aux observateurs est la spontanéité d’un mouvement en Allemagne, en France et même en Belgique, puisqu’un jeune wallon vient d’être condamné pour des faits de rébellion à Notre-Dame-des-Landes. Il n’y a pas de liens d’organisation entre eux. Besancenot appellerait ça « la convergence des luttes » sauf que Besancenot parle de luttes issues de partis ou de syndicats se fédérant dans une action de résistance. Ici, c’est d’instinct que ces militants d’un nouveau genre se retrouvent dans une aventure commune. Aventure dont il faut remarquer que la violence ne s’accompagne pas de pillages, ni de vols, il ne s’agit que de destructions de biens.
Sans doute, Internet tient sa partie, plutôt que le tam-tam africain, mais jusqu’à présent les mots d’ordre, s’ils existent, ne proviennent d’aucune chefferie.
Le nombre de 1400 manifestants black-blocs a surpris la police et sans doute les militants syndicaux du cortège traditionnel.
Les médias ont repris leurs anciennes habitudes d’écriture sur les casseurs anti-flics, sans s’être rendus compte qu’il ne s’agissait pas du même terreau social, qu’on désignait encore l’année dernière par « voyous des banlieues », groupés en protestation d’une bavure policière.
On connaîtra bientôt l’âge, les professions et les origines des black-blocs que la police a arrêtés ce premier mai.
D’après quelques interviews – trop rares pour se faire une opinion – ils proviendraient de tous les milieux, de professions diverses, un patchwork social qui conviendrait très bien à les cataloguer anarchistes, sauf que contrairement aux black blocs, les anarchistes se fédèrent autrement, quoique sans hiérarchie également.
Manuel Valls s’était déjà cassé les dents sur le dilemme, lorsqu’il était ministre de l’intérieur. Comment réclamer la dissolution de groupes violents qui n’ont aucune structure, ni aucun lien de groupe à groupe ?
Rémy Piperaud, parlait il y a quelques années de « groupes autonomes » dont le refus d’étiquette est l'un des rares éléments idéologiques fédérateurs, composés essentiellement de squatteurs et d'étudiants.
Dans Les Inrocks Francis Dupuis-Déri les situe anticapitalistes, écologistes radicaux, anarchistes, généralement anti-Etat, ce qui les place à l'extrême gauche de l'échiquier politique. Et d’ajouter, ils n'aiment pas ces étiquettes, car elles peuvent faire référence à des forces politiques dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas. L’automne dernier, ils s'en étaient pris à un meeting que Jean-Luc Mélenchon organisait place de la République.
N’a-t-on pas affaire plutôt à des citoyens qui participent à tous les combats alter-mondialistes violents ? C'est pour cela qu'ils sont difficiles à pénétrer, puisqu’ils se réunissent par convergence de radicalisation sur des sujets porteurs comme Notre-Dame-des-Landes et ce premier mai de lutte contre un pouvoir incarné par Macron .
Ce qui me fait écrire que ce n’est qu’un début et qu’on n’a encore rien vu. Ce mouvement est international et réuni les mécontents actifs des démocraties.
Ils étaient déjà présents au sommet de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Seattle en 1999, lors du G8 à Gênes en 2001 ou du sommet de l'Otan en 2009 à Strasbourg et à Kehl (Allemagne).
Ces émeutiers – si on veut leur donner un autre nom que black bloc – sont le résultat direct de l’enlisement de la démocratie dans les sables du profit capitaliste. Rousseau l’avait déjà prévu : “Quand l’Etat se dissout, l’abus du gouvernement, quel qu’il soit, prend le nom commun d’anarchie” (Du contrat social).
Cependant, les États sous le label du suffrage universel, à bout d’idée et de souffle, ne se sont pas encore auto-dissous. Et le nouvel ordre qui se fonde sur celui qui s’effondre n’est pas de la compétence des black Blocs pour en décider.
Mais c’est un signe, une conséquence du pourrissement du profit comme seul moteur de la démocratie. Un avertissement qu’il conviendrait de traiter autrement qu’avec des matraques et des grenades lacrymogènes, en remontant aux causes.
Quant au pauvre Proudhon son analyse de l’anarchie fait rêver : “L’anarchie est une forme de gouvernement dans laquelle la conscience publique et privée, formée par le développement de la science du droit, suffit seule au maintien de l’ordre et à la garantie de toutes les libertés”.
Cet angélisme, qui fait mourir de rire les pouvoirs actuels, ne fait plus peur à personne depuis longtemps.
Les mouvements actuels transgressifs ne mettent pas en danger ce qui reste encore debout de la démocratie. Mais ils ont le mérite de désigner les acteurs et les partis politiques, agents de la débâcle des principes sociaux. De derrière leur cache-col, les bourgeois pourront encore sourire quelques temps de ceux qui sont dans la rue.
Les dirigeants passent à côté d’une autre convergence que celle des black-Blocs européens, celle d’une dégradation irréversible mondiale des conditions naturelles de vie, justement en parfaite concomitance avec toute protestation, même violente.
La propriété a été familiale, féodale, monarchique et individuelle ; la famille, patriarcale, matriarcale, despotique ; si demain tout cela n’est pas repensé, collectivisé à seule fin d’épargner la nature sans laquelle nous ne saurions vivre, les black-Blocs auront disparu… mais le système aussi. L’humanité aura fait place nette, laissant à quelques nouvelles espèces de singes, s’il en reste, un destin moins malheureux !