Les lois de l'hérédité.
– On avait un Reynders, on va en avoir un deuxième !
– Non ?
– Oui !
– Comment cela se fait-il ?
– Au MR on n’y coupe pas. On ne devient pas célèbre par un bon militantisme. On le devient par droit de succession. À 35 ans, Nicolas, le fils de l’illustre se lance.
– C’est curieux d’avoir exactement la même opinion que son père !
– L’opinion est sans importance. C’est le résultat qui compte. Rien qu’à se lancer, le bougre a déjà droit aux réclames extasiées des journaux locaux !
– Et les autres, les pékins qui glandent pour se farcir un petit mandat rémunéré, les défenseurs de la rente et du commerce qui vendraient père et mère pour passer professionnels, ils ne mouftent pas ?
– Le MR est bien quadrillé. Matamores de père en fils, les chefs ont le poster de la famille Michel dans leur local de réunion. Reynders suit l’exemple de Louis… Les Horace contre les Curiace !
– Je parie que le petit Nicolas est déjà courtisé !
– C’est la génération suivante. C’est important. La génération Nicolas sera chargée de surveiller les arrières des grands anciens, des fois que le système serait pris dans une tornade.
– C’est toute une affaire d’être issu d’un illustre. L’éducation commence très tôt. « Papa, je veux devenir pompier ! – Non mon fils, tu seras député, comme ton père, et peut-être ministre.
– Je vois d’ici les mères de ces futurs pères de la Nation. Par exemple, déjà bébé, le petit Nicolas n’a pas pris son bain comme tout le monde. On l’a lancé dans le bain, dès le plus jeune âge, c’est La Meuse qui l’écrit.
– Il commence petit… les élections provinciales, quand même… il a pris du retard sur Charles. À 35 ans, Charles avait déjà une situation. Il réclamait sa part de démocratie…
– T’en as combien qui attendent vingt ans pour monter sur la liste et qui ne monteront jamais. Lui, tu parles, même si personne ne le connaît dans le coin, c’est tout de suite dans les « presque sûr » qu’on le case. C’est pas de l’avant-dernière place à vie !...
– C’est un passe-droit !
– Non, c’est un passe-plat !
– Où tu vois la manœuvre et que ça respire l’embrouille, c’est le parrain. Tous les fils de… sont parrainés par les obligés de l’illustre dont le fils se lance. Ici, le chevalier d’adoubement c’est Jeholet Pierre-Yves.
– Plénipotentiaire désigné par le ministre pour accompagner les premiers pas du nouveau chevalier de l’Ordre !
– Voilà qui est quand même bien organisé.
– Ils ont eu le temps de se rôder. Le MR c’est la force tranquille de la démocratie en pantoufles.
– « Pourquoi le niveau provincial ? » s’interroge-t-on à la Meuse avec une pointe d’angoisse. « Il a des projets très concrets » se répond à lui-même le journaleux de service. « Ah ! bon ».
– Je sens qu’il va nous les énumérer.
– Exactement.
– Mais on n’en saura pas plus.
– Ah ! bon…
– Non, le préposé à l’éloge ne va quand même pas écrire que son projet le plus concret est de devenir bien vite un député au minimum syndical. Il ne faut pas décourager le militant de base.
– Nicolas porte un lourd fardeau, nous dit-il. Il a conscience qu’il est le fils d’un illustre. Mais comme tous les gaillards qui ont de lourds fardeaux – et on devine bien là son sens du pratique – quoi de mieux qu’un chauffeur avec voiture de l’État. Et pour cela, il doit « bosser » ferme.
– Et les projets ?
– Quels projets ? Le journal La Meuse aura tout l’été pour lui en trouver quelques-uns d’après les sondages à Huy et en région sur ce que veulent les habitants du coin.
– Reste le coup de foudre pour Burdinne, à proximité du refuge champêtre de papa.
– Mais le grand homme a quitté Liège précipitamment pour conquérir Bruxelles, après avoir exprimé son amour indéfectible pour la Cité Ardente !
– Qu’importe, il est resté très provincial par son côté gentleman-farmer.
– Géographiquement, Burdinne, c’est un trou. Historiquement, c’est l’endroit parfait pour dresser l’échelle MR et partir à l’ascension du mât de cocagne.
– Ces MR quand même !